jeudi, juillet 03, 2008

Un soir d'été

Le soleil se couche
Paix
Mes amours sont mortes
Je renais.

Les feuilles mortes ne se ramassent plus devant ma porte
Le chèvrefeuille envahit les briques
La manche d'une chemise sale déborde
Poussières sur le bois lisse

Le soleil s'en est allé
Lueur des réverbères sur le trottoir gris
Pieds nus sur les dalles glacées
Poupées éparpillées
Je souris.

Lisa

Séquences




Désir à ne savoir qu'en faire
Ses doigts savants parcourent son corps lisse
Mille pensées la traversent
Ses poils se dressent sur sa peau
Baisers au goût de doutes
Le bien le mal mêlés s'effacent
Derrière le pourquoi pas.

Le sol s'effondre la boue glisse
L'eau glacée m'engloutit
Je m'accroche à une herbe qui bruisse
Elle cède sous mes doigts
Déjà l'eau dans ma bouche mon nez mes yeux
Ma main en un adieu terrorisé surgit au bout de moi
Tache de chair sur la tranquillité du bois.

Elle parle calme doux syllabes insensées
Je ne comprends pas
Château de certitudes brisé sous le souffle de quelques mots
Elle était celle qui aime inconditionnelle
Plus rien jamais pareil après cette minute-là.

Plic ploc musique aux mille voix
Plic ploc sur la brique le plastique et le bois
Les os la peau devenus eau à la surface de ses pas
Insouciance d'un instant flottant
Légère déjà.

Le froid dévore mes orteils sous les couvertures trouées
La bouillotte depuis longtemps s'est arrêtée
Il a dit "je n'ai que ça"
Être ailleurs.

Extase indicible joie
Musique dieu est dans ses doigts
L'horizon s'arrête au bout de ses cheveux
Mes poumons éclatent
Il est là.

Lisa

Mercredi 2 juillet 2008

Une petite bulle noyée
Dans une bouteille fermée
S'est échappée
Pour s'alléger.
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La vitre si nette, si limpide
Si rassurante et si vide
Eclate tout – à – coup

Mille éclats d'eau
Eclaboussent mon regard
La cuisine devient piscine

Pas de sifflet, pas de bouée
Je m'accroche à la poignée
Elle se décroche comme une araignée
Tombée de son fil

Un bruit terrible me déchire
Je suis coupée en d'eux, quoi de pire ?
Ils ne peuvent plus m'entendre
Et moi, vers qui vais-je tendre ?

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Le chêne et le roseau...
L'un pompe la sève
L'autre boit de l'eau

L'un traverse les tempêtes
L'autre tremble sous les assauts
L'un sera l'écrin d'une défaite
L'autre sera le support de nos mots.


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La lourdeur de ton départ
L'envol d'une coccinelle
L'éclat du cercueil si noir
Une flamme sans appel

Lenteur du corbillard
Ta vie défile
Des arbres hilares
Un passage futile.




Je les ai descendues pas à pas
Elles étaient là, narquoises
« Tu n'oseras pas ; tu n'oseras pas »
J'ai effacé l'ardoise.

J'ai relevé la tête
J'ai suivi mon chemin
Je serai de la fête
Je prends le premier train.


Florence Renson.

Jeudi 3 juillet 2008

Parking réservé au personnel.
Personne... elle, si réservée.
Parquée sur des places délavées,
Traquée, tracée, parallèle.

Embouteillage ; silence étrange
Pas un klaxon, pas un son
Pas de rage, pas de collision.
Une limace aux traînées oranges.

Le feu, les sirènes, les pneus noirs.
La vitesse, la haine, le désespoir.
Se ranger ; se mettre sur le côté
Appuyer sur le frein pour exister.

Contourner la voiture immobilisée
Tirer la langue aux inactifs
Changer de route, piquée au vif.
Sur la vitre, une guêpe écrasée.

Florence Renson.



Epilogue

Que restera-t-il de ces journées ?
Douze têtes penchées sur l'absolu
Tordre le naturel
Etirer les formes
Creuser le doute
Gagner la place ?

Que restera-t-il de ces matins ?
Vigilance perclue de sommeil
Souci du juste
Formuler
Formuler mille raisons de taire
Le refus du "tout va très bien"

Que restera-t-il d'un stage d'écriture ?
Des textes à l'envolée
Comme autant de bois vert
Lier le sarment
Belles promesses pour poètes ... subsidiés ?

03.07.08 Marc D.

l'instant

Je te touche
Tu restes là
Immobile
Droit et aligné
Comme à la parade

Je te caresse
Je pose une main
Là ou d'autres doigts
Se sont posés
Au temps d'avant

Rappelle-toi
Nos jeux d'hier
Appuyé contre ta rondeur
Les murmures s'égrènent

J'ai cherché en vain
La trace du canif
Notre serment tatoué
En lettres malhabiles
La mousse avait fait son oeuvre

Demain
Je reviendrai pourtant
Je naviguerai encore
Entre tes racines
Lisant à la surface
Le passage du temps

01.07.08.

Marc D.

...et encore de Patricia

Voyage avec un paquet de savon

Je n’étais pas très avancée dans ma découverte de l’anglais lorsque j’ai rencontré le mot « sunlight ». Bien prononcer [sun-light]. J’ai souri.
La maison de mes parents, les dalles en ciment de la cour, moi six ans jouant avec Gamin, mon chat noir.
La cour était à traverser pour atteindre la buanderie où trônait l’imposante machine à laver dans laquelle ma mère faisait bouillir les blancs. Elle ne jurait que par le savon « Sunlight ». Bien prononcer [sune-liche]. Je revois l’emballage blanc et jaune avec les lettres bleues.
Il y avait aussi une balançoire dans le jardin.

L’odeur du temps

Ton bois en a vu de toutes les couleurs, jusqu’à l’orange des années flower-power. A la Villette, dans l’entre deux guerres, tu étais sous la haute surveillance de mon grand-père.
Interdiction de toucher au balancier ni à la clé ; ça vaut pour les deux grands frères, aussi pour la petite sœur.
Tu as été témoin de tous nos actes importants : mariages, baptêmes, enterrements, ballottée dans autant de déménagements.
Petite sœur va sur ses 78 ans.
Au début de cette année, j’ai fixé le crampon pour t’installer dans mon nouveau chez-moi.
Je t’ai habillée d’une légère patine blanche proche d’un cérusé ; on m’a dit que ça te va bien.
J’ai donné l’élan au balancier et rangé la clef.
Il arrive, lorsque sonne l’heure, que l’odeur particulière de la Villette vienne effleurer mes sens.















Dedans dehors / Textes / Marine

Jour 1

La fourmi rebelle

Une fourmi sur ma main solitaire
Le corps ployé sous la charge
La douleur vrille mon dos
Surtout ne pas lui ressembler.

Geste rageur
De vie à trépas
La paix
Enfin.

Trace de vie sur le béton
Les humeurs passent en nuages
L’espoir existe
Un corbeau me l’a dit.

Accords « salsaniques »
Fusion immédiate
Entre tes doigts impatients
Ma peau brûlante.

Cuba scande mes sens
Je ferme les yeux
Loin la fourmi, le fardeau, la vie
Je m’éveille dans l’instant.

Hurlement d’une sirène
Cri strident du corbeau
Lance glaciale
Sens transpercés.

Bleu du ciel
Gris du béton
Nuages d’humeur
Le temps s’enfuit.

Tapie, mon âme se tait
Entre les brins d’herbe
Une marguerite effeuillée
Instants de vie espérés.

Je me lève
Il est l’heure
Fourmi en marche
Reprends ta charge.

Bourrasque de vent
Métamorphose
Enfin
Une libellule s’envole

Coups du sort
Le temps suspend son vol
Retour à la case départ
Une fourmi sur une main s’avance …

Dedans dehors / Textes / Marine

Jour 2

Vous avez dit retard ?

Tic tac, l’attaque du réveil
Tac tic, en trouver une et vite
L’aube est là qui s’excite
Pourquoi toujours en retard ?


Plic ploc , la pluie s’entrechoque,
Flip flop le moral en ribote,
Dans ma tête, la petite aiguille
Trotte, et si j’étais elle ?

Une, deux, mon corps douloureux,
Trois, quatre, ne pas se laisser abattre,
Marcher, courir, danser, le rêve,
A cloche-pied, à l’heure peut-être ?

Rouge, vert, jeu de poker,
Vert, rouge, travaux, rien ne bouge,
Otage de la route, j’attends,
Est-ce la vie, la cause des retards ?


Trois, cinq, consigne sans lendemain,
Cinq, trois, ramer, encore une fois.
Les mots m’emmènent en promenade,
Avec eux retard aura-t-il le même sens ?

Cinq sens

Onze heures petits pas de bonheur
Je caresse un lit d’herbes offertes.
Le soleil est là, la paix aussi,
Etrange.

Onze heures deux le vent dans mes cheveux,
Je sens un fumet de viande cuite,
La tribu, sur son île chante et danse,
Etrange.

Onze heures vingt-trois assise avec moi,
J’entends sous le porche de pierres,
Son âme, leurs voix, mes prières.
Etrange.

Onze heures trente des cloches impatientes,
Les coups s’égrènent, se donnent,
Je vois l’innocence, le sang, la peine.
Etrange.


Onze heures cinquante-huit le groupe réuni,
Discute, refait le monde,
J’ai dans la bouche un goût de trop peu.
Etrange.

Cela ne dépend pas de moi


S’emplir, grandir,
Décrépir, et puis mourir.
Ignorer, apprendre,
Introspecter, et oublier.
Les lettres, les mots,
L’alphabet
L’être unique, le couple,
L’enfant.
La vie, la mort,
L’au-delà,
Après tout,
Ca ne dépend pas de moi…


Pourquoi ?

Le vert pour le vivant,
Le rouge aux sentiments,
Coup de noir sur l’œil
Qui soudain devient bleu,
Pourquoi ?

Le vers pour la poésie,
Le rouge, un début de vie,
Tache noir sur robe blanche,
Les jours deviennent gris,
Pourquoi ?

Le ver pour appâter,
Le rouge, colère refoulée,
Couleur noire sur peau mate,
L’horizon se rétrécit,
Pourquoi ?

Le vert mélangé au rouge,
Le brun, soudain enfanté,
Le noir se fond dans le blanc,
La joie exulte,
Pourquoi ?
Dedans dehors / Textes / Marine

Jour 3

1.Pensée « poétique » du matin (hum)
Le chant du merle m’a parlé du matin, tandis que grondait au loin la promesse de l’orage. Encore engluée dans les errances de ma nuit, il m’a fallu l’odeur du café pour découvrir le jour.

2. Bouillons de pluie

Annonce de la pluie
Dans le genou de Léa,
Je souris.
Bientôt je le sais,
Le jeu sera là.
Premières gouttes, premiers pas,
La route est à moi.
Pieds déchaussés
Geysers qui explosent
Fraîcheur, douceur,
La fête dans mon cœur
La grosse voix de Léa
Ne reste pas là
Je ris, je saute, je vis
Le bonheur existe.
Tu sens le chien mouillé
Soupire Léa
Dans ses reproches voilés
Je me sens à l’étroit.
Un geste de la main
Déjà la pluie s’en va,
En dedans la mer
En dehors un sourire.
Une goutte s’attarde
Au coin de mon œil.
Escargots, grenouilles,
Tous sont à la fête
Car demain je le sais,
Mon amie reviendra.


4.Papa ce héros


Son regard est vide
Ce vide en moi
Déborde.

Débordement de paroles
Paroles vides de sens
Où suinte l’arrogance.

Sa bouche est un gouffre
Un gouffre hérissé de dents
Des dents dépourvues de lèvres
Des lèvres ignorant le baiser.

Ses mains sont deux rocs
Inaccessibles et dangereux
La rudesse n’a pas de frontière
Elle a franchi celle de son âme.

Son corps est celui d’un ogre
Ogre surgi du rêve oppressant
On pressent le cri de l’oiseau
Dans la gueule du loup affamé.

Son âme est une ombre
Cette ombre en moi
S’agite.

Caresse sur la pierre
Pierre en lettre gravées,
La paix.

Dedans dehors / Textes / Marine

Malgré l’épreuve du temps, de l’obscurité, l’absence du nécessaire,
Sous sa fragile apparence, elle a défié l’impossible.
La vie est là, chapeau bas.


















Dedans dehors / Textes / Marine

Nuance de vert
Dans la forêt,
L’éphémère côtoie
Indulgent,
Le persistant,
Humble.



















Dedans dehors / Textes / Marine

Il sourit, ‘effort est beau
Absence de peau sur
Une vie dissolue.

Les dents serrées derrière ses barreaux
Le regard vide
Renferme son histoire.

Les doigts serrés autour du grillage
L’annulaire sectionné
Porte les traces de son passé.

Le crâne posé contre sa cage
L’homme, comme apaisé.
Reposerait-il en paix ?










Quatrième jour
















Cette quatrième journée nous rettouve loin déjà par rapport au moment du départ...
Des questions sur le sens et la forme, tous les jours, des débats entre nous, des réflexions à propos des "idées" et des sensations, des idées et de la nécessité de ne pas s'enfermer dans les idées mais plutôt de les aborder latéralement, dans un sens inattendu, et de faire entrevoir l'inaperçu...


Lectures, rencontres, réflexions...
Consigne: Ecrivez une série, une séquence...


(La question du discontinu...et de la forme qui apparaît au-delà de la succession des morceaux...)

Puis une autre proposition: allez sur un chemin et relevez le minuscule, le petit, le peu en cinq étapes au moins...

Je mêle farine et eau, travaille la pâte qui déborde entre mes doigts.
Elle est tendre, molle, douce, chaude, corps d'enfant endormi.
Elle se laisse modeler, s'échappe un moment, reprend sa forme, se laisse caresser, chat entre mes doigts.
Son sel me griffe, me pique, douce morsure.
Abandonne-toi entre mes doigts.

Christiane






















...se poser ou ne pas se poser...
...vide ou plein...

N’entrez pas dans ce lieu

Daniel Simon


(Une scène de théâtre. Un jeune fille, assise sur le bord, les jambes pendantes, écoute,
la nuque cassée, effondrée sous les paroles qui viennent. On entend des avions décoller, des trains passer et s’éloigner, des bruits de marches lentes,…)

Une femme bien plantée sur ses jambes nues et désignant le sol,
un peu au devant d’elle:
N’entrez pas dans ce lieu si vous n’avez
ni moyens ni permis d’en sortir,
fuyez aéroports et gares sous surveillance,
partez par les chemins et restez dans l’ombre des grands arbres,
faites silence sur ce qui vous serre la gorge
et ne parlez que lorsque vous pourrez vous garantir protections et distance.
Voilà ce bel endroit, penché sur son flanc rose,
sur l’Euphrate et ses chansons dorées,
sur le soleil couchant et ses vignes serrées,
voilà cet endroit large comme la main
et accueillant comme des doigts fermés sur une paume sombre,
voilà ce bel endroit et comment il se porte,
voilà où nous jouons en relevant la tête parfois
quand le souffle du taureau nous rafraîchit la nuque,
voilà où nous allons en claudiquant et marchant sur une jambe,
trop heureux d’échapper au sinistre, au froid et à l’éteint,
trop heureux d’être ici,
dans l’enchevêtrement des promesses anciennes et des oublis récents,
trop heureux d’être ici dans un temps sans chaos
ou plutôt sans effroi mais au cœur du désastre,
n’entrez pas dans ce lieu si vous croyez encore à ce que vous entendiez
quand vous étiez si loin que le son des souffleurs ne portait jusqu’à vous
et que les chansons borgnes vous semblaient si heureuses et belles
comme le pain sur la table le matin quand la faim vous réveille.

Un homme arrive, qui enlace la femme et prend sa place en la repoussant d’un sourire et d’un bras fermes :

N’entrez pas dans ce lieu si vous êtes nus et faibles,
Sans voix et sans paroles, confiants dans la sagesse,
élevés dans le souci des offrandes communes,
fuyez et baissez donc la tête, votre place n’est pas ici,
vous êtes des organes, des bras, des sexes, des sourires,
des narines bouchées sur la puanteur vague des cités ordurières,
vous êtes de la viande qui poussera la viande
dans le chariot des ventres à venir,
fuyez mais attention où votre pas vous porte,
plus loin, c’est le silence ou les chants obligés,
le fouet et la main tranchée comme un souffle qui passe,
plus loin, c’est l’endroit d’où vous partez pour arriver ici
et cependant ici n’est pas ce bel endroit dont vous rêviez
dans l’ombre des façades, c’est un lieu opportun où vous serez heureux
le temps de vous y faire à cet ennui commun
qui se plaît à changer les moulins en farines
et se donne pour attraits tout ce qui vous ruinera.Mais cet endroit est là, à portée du regard,
les cartes sont étroites, les mises en garde vaines, les récits abondants,
cet endroit est celui qui vous verra renaître et aussi celui où vous serez si seuls
que vos enfants bientôt ne suffiront plus à vous garder debout,
vous allez vous coucher le long des souvenirs comme on se glisse le soir
contre un corps attendu et désiré si fort
que le mal vous saisit d’abord au creux du ventre,
puis la poitrine, la gorge, encore le ventre
et le tout en même temps pour remonter enfin
vers le silence et des larmes soudaines que vous reconnaissez
comme celles que vous pensiez laisser là-bas au pied froid des façades.

(La femme qui s’était éloignée revient vers le centre du plateau et vide ses poches tout en parlant. Elle jette des objets, mouchoirs, clés,…sur le sol devant elle et tourne lentement sur elle même comme si elle dansait à l’extrême ralenti un flamenco de mort)

La femme :

…rien, presque rien, quelque chose qui passe inaperçu au début, presque rien mais quand même la petite fille commence à se rendre compte qu’elle n’aura pas le choix, que décidément elle n’a pas le choix, que c’est déjà trop tard, qu’il va falloir se résigner, accepter que toute cette tourmente ait un visage une voilure et un équipage, que toute cette tourmente frappe de plein fouet la résignation que ses chers parents tentent déjà de lui inculquer, et tu ne feras ni ceci ni cela ma chère enfant et tu ne mentiras point et tu resteras désarmée là où les hommes vont le visage peint des signes de l’impuissance et du mensonge, tu accepteras, petite, de te faire traiter de petite et tu seras ainsi le visage dans tes boucles, le corps dans ses secrets, l’âme dans cette éternelle apnée qui garrotte le souffle des enfants qui ont compris trop vite que le monde qu’ils devront traverser est particulièrement beau et dangereux pour les enfants de tous acabits, petits et forts, grands et faibles, muets et arrogants, habiles et consternés…
Ces tout petits enfants pourraient faire lever le monde comme une pâte fine et légère mais ils grandissent déjà et la pâte s’alourdit, le levain surit, l’air n’est plus subtil et s’effondre par endroits, les petits enfants alors se redressent, leur larynx se détend et les premières phrases montent vers le ciel des dieux qui poussent encore la corne au seuil des désastres et ces enfants parlent un babil de fée et d’enchanteur, …
Petite la jeune fille tournera la tête comme pour dire qu’elle n’en aura plus pour longtemps à écouter les lamentations des vieillards et des repentis, la petite fille prendra ses cliques et ses claques et s’en ira danser ailleurs pour épuiser toute cette tourmente qui est en elle et qui se noue déjà dans l’abri chaud du ventre, elle n’aura plus de respect, surtout pas de respect, petite fille pour ceux qui sans cesse usent de ce mot – respect- et en abusent -respect- alors qu’ils méprisent ceux qui tentent de donner à leurs gestes l’élégance d’une bienveillante nature –respect- voilà l’insulte enfin nommée –respect- et cette ritournelle d’impuissance tourne et moud le grain des pauvres d’esprit –respect- petite fille en as-tu assez pour tout ce que tu sais et qui te vient de loin, de si loin que déjà on s’éloigne à peine a-t-on appris la nouvelle chanson, et te voilà petite fille à nouveau, jeune et belle, la tourmente te prend toujours le ventre mais tu as appris à rire d’une nouvelle voix et tu ris à gorge déployée et ris et ris encore contre ce respect –respect- qui sera un jour et tu le sais le seuil de tes ennemis mais en ce moment tu avances vêtue de ta plus belle colère, jeune fille tu marches vers celle que tu deviendras sans les grimaces de la sagesse et du respect, tu marches lentement crois-tu alors que déjà tu cours à perdre haleine et ta colère est là qui te précède alors que tu la croyais loin derrière dans les abris et les casemates enfumées des hommes assemblés, tu la croyais déjà perdue, cherchant sa place dans le ventre d’une autre, tu l’as voulais ailleurs pour mieux t’alléger et te séparer un peu plus du monde et de ce plomb qui te saisira les chevilles trop longtemps, cette colère que tu ne connais pas encore, qui babille ses imprécations, qui ne remue que de la cendre –respect et cie- mais qui a compris que tu accepterais de l’abriter pour un temps et que ça suffirait à laisser en toi des marques que chacun reconnaîtra plus tard en te disant dans un souffle « calmez-vous jeune fille vous y passerez comme les autres » mais tu ne l’entends pas de cette oreille, tu renâcles déjà, tu t’obstines à ne pas comprendre et à ne pas entendre « calmez-vous jeune fille vous y passerez vous aussi » mais ça ne passe pas, ça obstrue, ça grimace et la phrase en verra de toutes les couleurs, anéantie de bleu et de rouge pivoine, toute cerclée de diamants et de fleurs odorantes, la phrase reviendra peinte comme les petites filles aux allures de putain, la phrase résonnera alors qu’elle est déjà farcie des bêtises communes, elle arrivera jusqu’à cette petite fille qui se dresse sur la pointe des pieds pour éviter le pire qui est de ressembler aux enfants qui font semblant d’être des enfants, donc elle en est là cette petite, le ventre un peu délesté de cette peste ancienne qui traîne dans les cours où vont jouer les enfants, elle avance vers cette beauté nouvelle qu’elle a cru reconnaître et qui est celle d’une femme qui guette déjà sous des airs détachés tout ce qui empêchera sa colère de trouver son orchestre, sa fosse, son public, tout ce qui empêchera un court très court instant le monde de tourner et la jeune fille de faire ses simagrées sans trop y croire mais bon, faut payer son écho à la marche des grands singes, grandir et tirer ses culottes, peigner ses cheveux et agrandir ses yeux, faut arrondir les angles partout où on se blesse et soudain on découvre que tout est émoussé, que la colère s’essouffle, que la terre vomit chaque jour sa coulée d’enfants sages et que peut-être enfin elle, la petite devenue jeune et femme, est tranquillement en train d’oublier que la tourmente est passée sur elle il n’y a pas si longtemps, que la colère exige sa ration quotidienne de taille, de rage et vertu, que la bête a grand faim et qu’il faut la nourrir, que l’ogresse va les yeux vagues et les mains à tâtons dans le fourbi du monde chercher sa nourriture, bêtise, cruauté, entendement et raison partagée…

(La jeune fille s’est redressée et repousse violemment la femme qui tombe à la renverse, elle l’enjambe et se plante droite sur le bord de scène et commence. Peu à peu, elle va descendre dans la salle et parle avec le public dans une sorte de douceur marquée de secousses violentes comme si elle était prise de soubresauts, de saisissements soudains, jusqu’à disparaître dans le fond de la salle. L’homme peu à peu va se rapprocher du corps de la femme étendue et se pencher sur elle, la prendre dans ses bras. C’est une mater dolorosa, une piéta qui se compose lentement…L’homme doit pleurer légèrement pendant tout le texte de la jeune fille, dans un silence total. Tous les autres bruits doivent être éteints.)

La jeune fille :


Pour qui vous vous prenez !
Hein ? Pour qui ou quoi ?
Des juges, des éducateurs, des merdes oui !
Vous parlez comme le cœur vous le dicte mais votre cœur bat dans un rythme ancien, il se gonfle de très anciens savoirs et vous pensez que vous m’impressionnez parce que je suis plus nue que ce plancher en matière de mots, de belles phrases fort balancées…
Qu’est-ce que vous croyez, hein ?
Que ce monde si chiadé et tout emmitouflé de sentiments si beaux qu’on en pleure de loin…
Hein, qu’est-ce que vous croyez ?
Je suis ici, avec ou sans voile, le sexe sans aucune élégance, bonne à bouger mes fesses jusqu’à vous, toujours jusqu’à vous et votre vocabulaire, mais mes armes sont plus violentes, je frappe en-dessous de la ceinture, je tire dans le dos, je hurle quand vous me demandez de la fermer, qu’est-ce que vous croyez ?
Que j’en sais autant que vous dans votre égalité si rapiécée que la gale est la seule évidence de votre é-gal-ité !
Qu’est-ce que je peux faire ? Quoi ?
Il y a beaucoup d’enfants morts dans les histoires des hommes et la plupart sont enterrés dans le cœur fragile des hommes et ils ne savent que faire de cette chose là au fond d’eux qui les rappelle sans cesse à eux-mêmes, qui les ranime quand ils se laissent enfin couler, qui les étreint quand ils sentent encore un peu d’amour les traverser, cette chose étrange qu’ils tentent d’oublier de toutes leurs forces et c’est quand elle est en moi, presque inavouée, transparente, qu’elle est la plus définitive mais que faire alors de cette colère ?
Hein, que faire ?
Je suis ici en petite fille…(un long silence) et je me mets à jouer… et ça en fait des raisons, et encore des raisons et des raisons encore…et encore, et encore, de jouer, de jouer, et de jouer encore…

Noir scène, lumière salle.