dimanche, juillet 06, 2008

L'antidote...

Faut-il le rappeler, nous vivons aujourd’hui dans l’inflation des images et des mots, dans une surenchère d’informations, de sollicitations diverses, dans un bain permanent de stimuli hétéroclites. Nous pouvons accéder, bien sûr, à une mine de connaissances inconnue jusqu’à présent, mais tout cela peut aussi provoquer une sorte de dilution de l’esprit, accentuer l’existence d’une conscience sans profondeur, favoriser une nouvelle banalisation pour le moins dangereuse.

Il me semble, plus encore à l’issue de notre stage, que la poésie constitue un antidote puissant face à cette menace bien réelle. La poésie nous amène à rechercher ce qui est fondamental en nous, elle nous nomme et nous aide à nommer le monde, ceci même en ses manifestations les plus négligeables en apparence. Elle remet en mouvement cette dialectique entre l’intérieur et l’extérieur de nous-mêmes, elle instaure en nous un état de vigilance, une présence de la conscience à la fois pointue et légère, la faculté de créer. La poésie nous rend plus vivants…



Marcel Dagniau.

Marcel, la suite. dans le désordre...

J’ai vu
La mer de la tranquillité
Rue de l’Abreuvoir
A hauteur du bureau de tabac
Juste après la pluie.

J’ai entendu
Plus près de toi mon Dieu
Au sommet d’un H.L.M.
Résidence des Épicéas
Juste avant le saut.

J’ai vu
Une défroque d’ecclésiastique
Ou de très vieux notaire
Dépassant d’une poubelle
Au bas d’un immeuble à Nanterre.

J’ai vu
La haine dans tes yeux
A l’heure de pointe
Dans le rond-point Yernaux
Hier soir à Charleroi.

J’ai entendu
Un morceau de musique baroque
Sur une route barrée
Dans une tranchée ouverte
Par la compagnie du gaz.

J’ai vu
Le soleil de minuit
Sur un mur noirci
C’était l’heure de l’apéritif
A Paris dans le treizième.

J’ai vu
Un regard d’amour
Chez une femme aux yeux noirs
Assise avec son mec et son môme
A la terrasse d’un bistrot.

J’ai entendu
Une fille chanter le Fado
Le long d’une ligne de barbelés
Près du panneau « défense d’entrer »
En bordure de l’aéroport.

J’ai vu
Passer une antilope
Dans un jardin d’enfants
Réservé aux moins de trois ans
Vers la fin de cet hiver.

J’ai entendu
Un diapason
Posé dans un caquelon
Dans la cuisine inox
D’un appartement modèle.

J’ai vu
Les canaux de Mars
Sur un champ pétrolifère
Quelque part au Texas
A l’heure la plus claire.
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J’ai la tête entre les mains
Mais je vis dedans
J’aimerais mieux vivre sur terre
Evidemment
Mais ma tête prend trop de place
Je le sens
Je me suis pris une balle
Qui voyage dedans
Et ricoche sur les parois
En voilà de beaux dégâts

J’ai la tête entre les mains
Je vis dedans
Dehors la terre tourne
Dedans c’est la balle
Il paraît que la terre pâlit
Chez moi c’est la peau
Je n’ai jamais eu de pot
J’ai vraiment mauvaise mine
Et la terre aussi
C’est du moins ce qu’on m’a dit

J’ai la tête entre les mains
Il y a de quoi faire un foin
Pas étonnant que je me néglige
Et la terre aussi
Même si je rêve d’y vivre
J’ai pris une balle de fusil
Mes idées sont des chevrotines
J’aimerais bien fouler le sol
Tant qu’il est encore temps
Mais j’ai la tête entre les mains.