mardi, août 15, 2006

Auteurs de théâtre...Bernard-Marie Koltès, Howard Barker et quelques autres...


...quelques notes, un début, d'autres suivront ...

En parlant d'écriture dramatique nous évoquons évidemment le travail de la langue, les liens sociaux et politques dans la Cité, mais aussi le cynisme un peu niais des producteurs, la répétition hallucinée des mêmes programmations d'une saison à l'autre dans la plupart des théâtres et centres culturels de Belgique de France et de Navarre, les discussions sans fin, les colloques sur le rôle et la place de l'auteur

Souvent, ce sont des occasions (des opportunités?) de production de documents à propos des auteurs et non, des textes d'auteurs...que personne ne lira, bien entendu.

Bref, ad libitum, la périphérie se nourrit sur la bête et pleurniche à l'unisson de la socio-culture...

Mouchoirs!

Daniel Simon

Ecrire du théâtre (2003)

de Erwan Tanguy

Ecrire du théâtre, c’est d’abord écrire.
Comme n’importe quoi d’autre.
A chaque écrivain de trouver ses contraintes, de définir ses exigences.
Certains écrivent du théâtre sans y aller, sans trop connaître.
D’autres s’imposent comme nécessité le fait de côtoyer le plateau.
Il n’y a que des expériences personnelles, je dirais même isolées.
Je choisis les deux positions, je revendique d’être dans et hors du théâtre pour écrire.
Que ce soit ou non du théâtre.
Quand le théâtre apparaît au fil des mots, il me devient nécessaire d’être en contact avec des comédiens (corps-voix-espaces-adresse). Et là encore, je demeure dans et hors du théâtre. J’écris dans un théâtre intérieur, hors des espaces ainsi nommés, et dans ces espaces, hors de mon théâtre intérieur, ou du moins le violant.
Ce qui se dit ensuite est sans importance.
Comment j’apparais/disparais dans mes textes ?
Est-ce que l’écriture est une expérience intime ?
J’ai envie de dire : cela ne regarde que moi. J’ai envie de ne pas y répondre.
Parce que cela ne change rien à mon travail de le taire ou non.
Parce que cela ne participe pas de la rencontre que je désire entre le texte, les comédiens, les spectateurs, les lecteurs et les metteurs en scène.
Une partie de l’expérience et de la rencontre ne peut être partagées car elle ne m’appartient pas.
Justement écrire est un acte de dessaisi. Lorsqu’un metteur en scène monte un de mes textes, je suis pour une grande part absent, même si j’assiste à toutes les répétitions, même si j’interviens sur le texte, pour l’éclairer, le modifier.
Là, mon travail est ailleurs.
Ces temps pourtant me sont nécessaires, utiles.
J’écoute, j’écris, je sommeille.
Pour y être totalement, dans le théâtre, il me faudrait mettre en scène, c’est un autre travail.
Et encore, y serais-je totalement ?
Ecrire, une expérience dont je n’ai pas le souvenir.
Moments de concentration vif, épuisant, qui ne me laissent qu’un grand vide.
Je ne saurai dire si je démultiplie ma parole pour animer des ombres ; si, comme certains textes philosophiques, j’instaure un dialogue avec l’autre, contradicteur, pour mettre en péril et en valeur une argumentation ; ou si je suis saisi par des voix qui parleraient en moi.
Peut-être est-ce tout à la fois ?
Ou beaucoup plus simple.
Et, pour moi, ne pas répondre à ces questions, c’est aussi une lutte contre l’idée romantique de l’écrivain, de l’artiste, qui aujourd’hui encore pousse les politiques à nous voir miséreux, profiteurs, saltimbanques.
Ne nous laissons pas nous mettre dans la rubrique surannée et si confortable pour eux des « poètes maudits », qu’ils aiment tant une fois que l’œuvre est posthume.
Dans un article, Salman Rushdie posait la question d’être dans ou hors de la baleine – allusion au Jonas. Il parlait de la position de l’artiste.
Etre dans la baleine, c’est accepter l’étiquette si confortable déjà nommée.
Pour être vivants et que nos voix s’expriment dans la puissance du théâtre, il nous faut être hors de la baleine.
Arrêter de fuir, car la fuite est immobile, mais proposer un véritable voyage dans les mots, dans les corps et dans l’espace dit clôt du théâtre.


La structure métaphorique

la métaphore structurelle

par Alexandros Efklidis


L’utilisation des métaphores provenant des autres arts fut pour le théâtre de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle un motif fréquent.
Le théâtre s’est tourné vers la littérature, la musique, la peinture non pas cette fois pour en faire la synthèse, mais pour en tirer des leçons qui l’aideraient à sa propre volonté d’autonomie.
Il y a ici un paradoxe : voulant s’émanciper et d’acquérir une autonomie, c’est aux autres arts qu’il l’a cherché.
Effectivement on a utilisé au théâtre une pensée métaphorique, au sens presque littérale du mot : on a transporté la question de la maladie du théâtre du champ du théâtre réel à un autre champ imaginaire, celui d’un théâtre exemplaire, fait par les qualités des autres arts.
Mais quelle était cette maladie du théâtre ?
Ce qu’on peut dire est que la pensée métaphorique, qu’on relie à la découverte, au milieu du 19ème siècle, de l’état maladif du théâtre, coïncide avec l’avènement de la mise en scène.
Mise en scène, maladie et pensée métaphorique apparaissent au même moment, ce qui nous fait soupçonner qu’ils sont les facettes différentes d’une question commune.
On s’est tourné vers les autres arts pour trouver un remède à la maladie du théâtre ; le personnage qui s’est chargé de faire le lien était le metteur en scène.
Les trois mots qui composent l’énoncé du dossier de L’Insensé de ce mois (écrire, composer, structurer) incluent l’ essentiel de la pensée métaphorique dont il est question ici. Effectivement, on peut dire que écrire le théâtre, en faire une composition musicale et le structurer comme une œuvre plastique ont été les trois processus métaphoriques les plus importants.

Dans tous les cas il s’agit d’une quête des nouvelles bases, des nouvelles structures pour l’art du théâtre ; car ce qu’on a réalisé était que le théâtre n’avait pas le statut des autres arts à cause justement du manque de ces structures de base : un artiste, des moyens et des techniques autonomes.

Là il se trouve peut-être la plus grande erreur du théâtre : au moment où les autres arts ont trouvé à une conception nouvelle de l’art (caractérisée par l’unité, l’individualité et l’autonomie) la réponse au vide que le passage de l’art en tant qu’affaire de la communauté à l’art en tant qu’affaire privée a crée, le théâtre (art de la communauté par excellence) n’a pu que se tourner vers les autres arts et emprunter leur moyens et structures de base.
Ainsi, le théâtre fut dans cette période de grande vitalité qui fut la fin du 19ème et le début du 20ème siècle un art par métaphore ; la volonté des grands visionnaires du théâtre de refonder un art nouveau a été fondée sur des expérimentation et des visions qui n’étaient que des métaphores empruntées aux autres arts.

Si cela est vrai l’état idéal du théâtre serait de ressembler à un ou plusieurs de ses arts. On ne peut pas expliquer autrement les visions comme celle de Mallarmé pour un théâtre qui aurait les qualité du livre (idée très chère à l’avant-garde théâtrale).

Ou les essais de Meyerhold de créer des partitions des spectacles, en correspondance directe avec la composition musicale.

Ou sa volonté de trouver une grammaire du mouvement en créant la biomécanique.

Ou sa croyance au structuralisme de la peinture de son époque et à la dynamique des structures apparentes.

Mais ce qui manquait au théâtre c’était une nouvelle raison pour exister et non pas des nouvelles techniques.

On peut désigner cela par le mot structure. Ecrire le théâtre, composer du théâtre, étaient des processus qui ont ouvert des nouvelles voies, alors insoupçonnées.

Mais ces voies ont été creusées et on est aujourd’hui presque au même point qu’alors, c’est à dire sans une structure nouvelle propre au théâtre.
On assiste aujourd’hui à cette même volonté d’emprunter des autres arts, de créer des hybrides (cette fois ce n’est pas seulement le théâtre qui se trouve dans cette nécessité, mais l’ensemble des arts et surtout les arts performatifs).

On est incapables aujourd’hui de parler de structure. Le monde est fragmenté par notre savoir fragmenté.
Cependant, une structure existe, au théâtre et ailleurs. Je pense aux photographies de l’univers lesquelles nous ont permis de concevoir autrement la question : on y reconnaît une structure dans les formations cosmiques (conditionnée bien évidemment par la nature de nôtres sensations d’observateur – spectateur) .

Cette structure est une concentration au milieu d’une dilution infinie : une structure aléatoire mais existante se laisse entrevoir.
Et elle est de caractère événementiel ; car il s’agit d’un événement au milieu d’une condition où tout événement est impossible.

Les structures cosmiques dont nous faisons partie (au moins perçues d’un point de vue purement esthétique) sont des événements matériaux inclus dans le grand vide immatériel (toujours esthétiquement).

L’événement cosmique constitue donc la structure de cet univers : une concentration qui pénètre au milieu de la dilution, sans raison, mais qui constitue par elle-même un événement. Un événement quasi esthétique.

Dans l’art ne serait pas une structure semblable qui conditionne ses fondements ?
Tout comme ces formations magnifiques de l’univers, l’art est une concentration au milieu de cette dilution qui est la vie, un événement, du moment où tout en en faisant partie, il se distingue aux yeux du spectateur qui est par ses sensations ou ses inventions capable de l’apercevoir.
Et pour retourner au théâtre : la recherche dans le domaine des autres arts d'une vérité nouvelle pour le théâtre fut un processus dont les fruits ont été impressionnants mais assez vains. Il manquait et manque encore la recherche d'une structure propre au théâtre ou, au moins, une recherche sur des parties de cette structure.

De ce point de vue, Stanislavski, ce réformateur vieux et conservateur, fut le plus révolutionnaire de tous, mais loin d'être révolutionnaire : il a trouvé dans l'acteur un vrai moyen du théâtre, une véritable partie de sa structure, où il essaya d'accéder par son biais.

Cette recherche, cependant, ne représente qu'un départ pour la recherche de la structure théâtrale réelle (ou la structure d'un théâtre réel) ; mais, même si cette recherche sur l'acteur a été reprise plusieurs fois, on est toujours au début et, je pense, on va y rester pour longtemps encore, comme il nous manque une chose pour commencer la recherche de la structure réelle d'un théâtre réel : une raison réelle.

Alexandros Efklidis, Paris,

aefklidis@hotmail.com

Les Editions de Minuit


Photo Jean-Claude Legros, Panama

ENTRETIEN DE

Bernard-Marie Koltès

AVEC JEAN-PIERRE HAN 1

La première fois que je suis allé au théâtre, c’était très tard, j’avais vingt-deux ans.
J’ai vu une pièce qui m’a beaucoup ému, une pièce que j’ai oubliée mais avec une grande actrice, Maria Casarès.

Elle m’avait beaucoup impressionné, et tout de suite je me suis mis à écrire. J’ai commencé par une pièce d’après Enfance de Gorki et je l’ai montée avec des copains.

C’était à Strasbourg ; Hubert Gignoux l’a vue 2, il m’a proposé d’entrer au TNS 3.
Là, j’ai continué à écrire des pièces et à les monter avec des élèves comédiens 4.
J’ai continué comme cela pendant huit ans, sans qu’aucune soit jouée dans un vrai théâtre.

La première qu’on a montée professionnellement, Yves Ferry et moi, c’était La nuit juste avant les forêts à Avignon en 1977.
Ça avait mis dix ans, j’avais écrit une dizaine de pièces.
*
1. Ce texte a été revu par Bernard-Marie Koltès.
2. Hubert Gignoux n’était en réalité pas allé voir la pièce.
3. Bernard-Marie Koltès avait sollicité son entrée à l’école du TNS dès 1969.
4. Les premières pièces avaient été montées avec des amis qui n’avaient pour la plupart jamais joué et qui formèrent le Théâtre du Quai à Strasbourg. C’est plus tard que des élèves comédiens entrèrent dans la troupe.
9. Il y a une coupure très nette entre La nuit juste avant les forêts et la pièce qui précède. Il y a d’abord beaucoup de temps, trois ans ; trois ans pendant lesquels je n’ai rien fait et où je pensais ne plus jamais écrire 5. Et quand je me suis mis à écrire, c’était complètement différent, c’était un autre travail. Les anciennes pièces, je ne les aime plus, je n’ai plus envie de les voir monter. J’avais l’impression d’écrire du théâtre d’avant-garde ; en fait, elles étaient surtout informelles, très élémentaires. Plus ça va, plus j’ai envie d’écrire des pièces dont la forme soit de plus en plus rigoureuse, précise.
Avant, je croyais que notre métier, c’était d’inventer des choses ; maintenant, je crois que c’est de bien les raconter. Une réalité aussi complète, parfaite et cohérente que celle que l’on découvre parfois au hasard des voyages ou de l’existence, aucune imagination ne peut l’inventer. Je n’ai plus le goût d’inventer des lieux abstraits, des situations abstraites. J’ai le sentiment qu’écrire pour le théâtre, « fabriquer du langage », c’est un travail manuel, un métier où la matière est la plus forte, où la matière ne se plie à ce que l’on veut que lorsque l’on devine de quoi elle est faite, comment elle exige d’être maniée. L’imagi- nation, l’intuition, ne servent qu’à bien comprendre ce que l’on veut raconter et ce dont on dispose pour le faire. Après, ce ne sont plus que des contraintes (écrire dans la forme la plus simple, la plus compréhensible, c’est-à-dire la plus conforme à notre époque), des abandons et des frustrations (renoncer à tel détail qui tient à cœur au profit de telle ligne plus importante), de la patience
5. Il y a en fait moins de deux années, au cours desquelles il continue à écrire, en particulier La
fuite à cheval très loin dans la ville. La période où il pensait " ne plus jamais écrire " a duré moins d’un an.
10 (si je mets deux ans pour écrire une pièce, je ne crois pas que la seule raison en soit la paresse).
*
De quoi parle Combat de nègre et de chiens ?

Je ne sais plus vraiment, car j’ai du mal à mesurer aujourd’hui la distance entre ce que je voulais écrire et ce qui est écrit – et je le saurai peut-être à nouveau lorsque les représentations commenceront.
Elle ne parle pas, en tous les cas, de l’Afrique et des Noirs – je ne suis pas un auteur africain –, elle ne raconte ni le néocolonialisme ni la question raciale.
Elle n’émet certainement aucun avis.
Elle parle simplement d’un lieu du monde.
On rencontre parfois des lieux qui sont, je ne dis pas des repro- ductions du monde entier, mais des sortes de métaphores de la vie ou d’un aspect de la vie, ou de quelque chose qui me paraît grave et évident, comme chez Conrad par exemple, les rivières qui remontent dans la jungle... J’avais été pendant un mois en Afrique sur un chantier de travaux publics
6, voir des amis. Imaginez, en pleine brousse, une petite cité de cinq, six maisons, entourée de barbelés, avec des miradors ; et, à l’extérieur, avec des gardiens noirs, armés, tout autour. C’était peu de temps après la guerre du Biafra, et des bandes de pillards sillon- naient la région. Les gardes, la nuit, pour ne pas s’endor- mir, s’appelaient avec des bruits très bizarres qu’ils fai- saient avec la gorge... et ça tournait tout le temps. C’est ça

6. Chantier Dumez au Nigeria.

© Elsa Ruiz
Bernard-Marie Koltès est né en 1948. Il est mort en 1989.

Il a fait paraître aux Editions de Minuit :

Les amertumes
(1970). 1998. 64 p.
L'héritage
(1972). 1998. 80 p.
La fuite à cheval très loin dans la ville
(1976). 1984. 156 p
Sallinger
(1977). 1995. 128 p.
La nuit juste avant les forêts
(1977). 1988. 64 p.
Combat de nègre et de chien
(1979). 1983-1990. 128 p
Quai ouest
(1983). 1985. 112 p.
Dans la solitude des champs de coton
(1985). 1987. 64 p.
Prologue suivi de deux nouvelles et de courts textes (Out, Home)
(1986). 1991. 128 p.
Le retour au désert
1988. 98 p.
Roberto Zucco suivi de Tabata, augmentée de Coco
(1988-1986). 2001. 128 p.
Une part de ma vie.
Entretiens (1983-1989)
1999.160 p.
Procès ivre
(1971). 2001. 80 p.
La marche
(1970) 2003. 56 p.

Présentation de
Le Jour des meurtres dans l'histoire d'Hamlet

Le Jour des meurtres dans l'histoire d'Hamlet est une adaptation. Bernard-Marie Koltès avait lu Shakespeare à partir de 1969 dans l'édition d'Oxford (1965), puis dans plusieurs traductions, en particulier celle de François-Victor Hugo (Editions Rencontre, 1969) qu'il avait lue dans son intégralité.
Mais en 1974, pour écrire ce "condensé" de l'œuvre originale, il choisit la traduction d'Yves Bonnefoy, publiée au Mercure de France (1962, 1988) et également dans la collection "Folio" chez Gallimard. Les emprunts à cette traduction sont fragmentaires : cependant, l'auteur a utilisé ce texte comme principe de son travail. On les retrouvera disséminés dans toute l'œuvre.

...vrai ou faux?

Y a-t-il plus d'auteurs ou plus d'Institutions fabriquant des "auteurs momentanés et périssables?"
DS.


«Tous les espoirs sont donc permis», écrivions-nous il y a cinq ans, en conclusion.

Ce «foisonnement» que nous décrivions en 1994, annonçant «quand il ne l’amorce pas ici et là» un «retour» au texte, n’a fait que s’amplifier.

À l’approche du nouveau millénaire, l’auteur est à la fête.

Citons quelques exemples emblématiques:

• la belle façon dont se sont développés Les Solitaires Intempestifs, la plus jeune des maisons d’édition consacrée essentiellement aux textes de théâtre d’auteurs contemporains - elle fut créée par Jean-Luc Lagarce (mort du sida), lui-même auteur mais aussi metteur en scène et parfois acteur;
• le succès grandissant de Mousson d’été, un festival animé par l’acteur-metteur en scène Michel Dydim, qui, chaque année fin août, transforme l’abbaye des Prémontrées à Pont-à-Mousson en forum et festival des écritures contemporaines;
• et récemment, la publication par la revue belge en langue française Alternatives théâtrales d’un numéro titré: «Écrire le théâtre aujourd’hui».
Le théâtre ne manque pas de bons auteurs contemporains. On voit apparaître des écritures fortes et décapantes comme celle de Jacques Rebottier. D’autres qui pointent le nez comme celles de Suzanne Joubert, Fanny Mentré, Gérard Watkins ou Gilbert Milin, des écrivains qui goûtent au théâtre comme François Bon ou Jacques Serena et qui y reviennent.
Mais pour un Gabily, un Lagarce, un Koltès ou un Novarina, beaucoup de plumitifs, d’auteurs bientôt oubliables ou de comètes.
Il en a toujours été ainsi. Le metteur en scène Claude Régy, depuis un demi-siècle, n’a jamais cessé d’être attentif aux nouvelles écritures (Marguerite Duras et Nathalie Sarraute naguère, puis l’Allemand Botho Strauss, l’Anglais Gregory Motton, aujourd’hui un auteur de l’Europe du Nord...).
Sa rigueur, son éthique, son parcours, son incandescence scénique et ses mots cinglants ont fait de lui, pour toutes les nouvelles générations, un modèle de vérité théâtrale, une référence.
Il y a quelques étés, lors d’une réunion d’«auteurs» à la chartreuse de VŠlleneuve-lès-Avignon, Régy mit justement les points sur quelques i et hics: «Nous vivons une époque glauque soumise à des soubresauts médiatiques qui engendrent des engouements hâtifs alors qu’il faudrait prendre le temps de l’exigence.
Écrire, c’est d’abord inventer une langue.
Il ne faut pas se lamenter sur la pauvreté de l’époque.
Simplement, elle ne porte pas plus de vrais écrivains que la précédente.
Ils sont très peu par siècle.
Tous les efforts consentis au développement de l’écriture donnent une fausse exigence, de fausses écritures.
Une masse grouillante entre nullité et médiocrité passable.
Elle a toujours existé, cette masse, de tout temps, également inutile, sans subvention, sans résidence ou sans mise en espace.
Les remplisseurs de papiers produisent des imitations.
La copie des schémas existants facilite la digestion, ne rencontre pas de heurts. Le faux circule bien. Très peu d’écrivains sont des inventeurs.
Très peu renouvellent une appréhension de l’être au monde.
Très peu créent une matière à plusieurs étapes de significations.»
Il ne suffit pas que les auteurs aient une revue - c’est le cas avec les Cahiers de Prospéro - pour que naissent des chefs-d’œuvre!
On y a vu aussi œuvrer les impasses d’un corporatisme d’auteurs véhiculant une vision du théâtre replié sur lui-même. Au moment où, dans un rejet de cette image d’un monde clos, émergeaient puis éclataient le théâtre de rue et le nouveau cirque. Il y a là, dans ces formes ouvertes, d’autres poètes de la scène, des poètes sans mots, comme Jean-Luc Courcoult, l’âme de Royal de Luxe, ou Bartabas, le maestro du cirque Zingaro, ou encore le solitaire Le Guillerm. On est loin là du théâtre de texte, mais justement le théâtre de rue et le nouveau cirque, devenus des phénomènes (où il y a à prendre et à laisser), n’ont fait que fortifier l’identité du texte en s’en éloignant.
Et d’ailleurs, aujourd’hui, dans un mouvement de balancier habituel à l’histoire des hommes et du théâtre, on voit des compagnies de théâtre de rue, parmi les meilleures, se tourner vers cette montagne incontournable qu’est le texte.
Dans les années cinquante, c’est dans les petites salles privées de la rive gauche que l’on découvre des auteurs d’avant-garde et futurs classiques.
La plupart de ces salles ont aujourd’hui disparu.
Paris et sa banlieue et les grandes villes de France se sont, entre-temps, dotés de théâtres subventionnés tandis que le théâtre privé parisien perdait sa folie des années ayant suivi la Libération pour apprendre les lois de rentabilité de l’entreprise.
Cependant, la plupart des nouveaux auteurs des années quatre-vingt-dix, et en tout cas les meilleurs, n’auraient jamais pu voir leurs pièces créées dans le théâtre privé parisien, lequel, sauf exceptions, se cantonne au pis dans le néoboulevard, au mieux dans les dialogues feutrés d’un théâtre qu’écrivent les enfants sages, poseurs ou calculateurs de Jean Anouilh (Éric-Emmanuel Schmitt, Jean-Marie Besset, Yasmina Reza).
Le théâtre privé ne prend plus guère de risques.
Mais qui en prend?
La plupart des directeurs de théâtre, de festival, les sponsors, brefs les bailleurs de fonds restent frileux devant l’écriture contemporaine, craignant d’effaroucher le public, les élus (la déconcentration des crédits en province ne favorise pas non plus l’audace).
On préfère jouer le ticket, souvent agnant, d’un jeune metteur en scène en vogue montant un bon vieux classique.
On préfère des produits manufacturés et estampillés bon pour tourner que des productions d’œuvres inattendues.
Une aventure comme celle du Théâtre Ouvert - véritable carrefour et banc d’essai des nouvelles écritures - est née en 1971 d’un vide, d’un manque, d’un rôle non tenu par les salles subventionnées, qui campaient, par paresse plus que par intime nécessité, dans un répertoire classique, des Grecs à Tchekhov, au public plus assuré.
Si l’aventure du Théâtre Ouvert, soutenue par VŠlar juste avant sa mort, semble parfois s’essouffler avec le temps, c’est parce que le relais a été pris, par des auteurs eux-mêmes, par quelques institutions et des manifestations comme Mousson d’été, mais aussi parce qu’il existe une meilleure circulation des œuvres et des auteurs en Europe.
Et au-delà. Depuis peu, l’arrivée de gens de théâtre moins complexés à la tête de quelques fortes institutions - Alain Françon au Théâtre de la Colline, Stanislas Nordey au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, Éric VŠgner au théâtre de Lorient, Olivier Py à Orléans, etc. - ouvre en grand les fenêtres sur l’écriture contemporaine, ce creuset de solitaires intempestifs pour reprendre le titre de Jean-Luc Lagarce qui, avant d’être celui de sa maison d’édition, avait été celui d’un de ses spectacles.
Cet auteur fut également un metteur en scène qui sut réunir autour de lui une troupe d’acteurs et de collaborateurs complices.
Qui sut se frayer un parcours original, à la frange des institutions ou en rusant avec elles, dans une marginalité subie autant qu’aimée, et surtout active, fomentant des réseaux de solidarité dont sa maison d’édition fut un bras séculier.
On retrouve un parcours et une inscription semblables, bien que l’écriture soit tout autre, chez Didier-Georges Gabily (disparu lui aussi), auteur à souffle, cofondateur du groupe T’chang et metteur en scène.
L’un et l’autre furent des auteurs-hommes-orchestres du théâtre, des auteurs solitaires et des hommes de théâtre intempestifs, des auteurs solidaires aussi et des membres de ce phalanstère informel que l’un et l’autre surent réunir et qui ne se résume pas au mot de troupe.
On pourrait de même parler d’Olivier Py.
Ou citer également d’autres exemples probants de cette inscription, même si le texte reste là souvent dans l’infra, ceux de la Fonderie du Mans autour de François Tanguy, du Théâtre du Radeau et de leurs proches comme la Volière Dromesko, tous vivant aujourd’hui la belle aventure du «Campement».
Des aventures qui ont commencé loin de Paris et de ses plans de carrière, et ont continué de s’inscrire dans ce beau mot de province.
Trois aventures humaines autant que théâtrales où l’exigence (vis-à-vis de soi) passe avant la reconnaissance.
Dans une époque de computers et de virtualité, le théâtre redevient un lien et un lieu vivant, un moment communautaire. Où les acteurs paient comptant.
Les auteurs y parlent du monde comme il va et font le pont avec les origines du théâtre: des Sdf aux héros errants de la mythologie grecque il n’y a qu’un pas.
La langue reste un creuset inépuisable.
L’immense et légitime succès que rencontre dans le monde entier le théâtre de Bernard-Marie Koltès montre, s’il le fallait, que les meilleurs auteurs dramatiques français contemporains (tous, bien que vivants, ne le sont pas) ont trouvé leur voie et leur voix.
Et le public ne s’y est pas trompé.
La question du rapport de la vie de l’individu à l’histoire des hommes reste au centre de cette écriture théâtrale comme elle l’a toujours été.
Mais, pour sa meilleure part, elle se cherche - et se trouve - au-delà de l’épique ou du réalisme, dans un éclatement des formes, des langues et des récits, constituant la pièce maîtresse du futur puzzle de la représentation théâtrale.


http://www.adpf.asso.fr/index.html


« Mes pièces sont sans moralité »
un entretien avec Howard Barker
Gilles Costaz

À Rouen, Howard Barker est venu mettre en scène sa pièce « Animaux en paradis ».
Ce grand auteur et metteur en scène britannique, inventeur du « théâtre de la catastrophe », est encore peu connu en France.
C’est pourtant un maître de la tragédie moderne.
Sans doute aussi important qu’un Harold Pinter ou un Tom Stoppard, Howard Barker reste peu connu en France. Pourtant, bien des metteurs en scène, tels qu’Hélène Vincent, qui a monté Tableau d’une exécution, ou Jean-Paul Wenzel, qui va monter Judith la saison prochaine, oeuvrent pour une plus grande reconnaissance de ce dramaturge hanté par la violence du monde et qui la restitue dans des tragédies très neuves prenant à contre-pied une certaine modernité.
À Rouen, Alain Bézu, directeur du théâtre des Deux-Rives, et Guillaume Dujardin ont pu mettre sur pied une coproduction franco-britannique de la pièce Animaux en paradis, que l’auteur est venu mettre lui-même en scène. Le délire de la fable subvertit l’histoire : autour de la haine entre la Suède et le Danemark, Barker imagine qu’une Danoise traverse la mer à la nage et séduit le prince de Suède. Aucun rapport avec Hamlet.
Une tour suédoise sera transformée en pont dano-suédois, jusqu’à ce que l’histoire d’amour change encore les données...
Une réussite : la mise en scène, qui utilise le plateau comme une addition de scènes latérales, est un savant et beau déchaînement de pulsions et de poésie. Nous avons rencontré ce grand personnage en compagnie de son assistante, Sarah Le Brocq. rdefined>
Vous avez défini votre oeuvre dramatique comme « un théâtre de la catastrophe ». Est-ce une façon de renouveler la formule d’Artaud, « le théâtre de la cruauté » ?
Howard Barker : C’est une formule qui date de ma pièce les Européens. Je veux dire qu’il y a aujourd’hui une possibilité de tragédie moderne, qui rompt avec la tragédie shakespearienne. Mes pièces sont sans moralité, elles divisent le public, où chaque individu est à même de former son idée. C’est un théâtre violent, oui, un peu cruel, intentionnellement excessif, dont la poésie mélange l’argot de Londres et le langage littéraire.
J’essaie de rendre compte du monde total où je vis, en étant tout le temps dans les extrêmes. On peut dire cela aussi de Racine !
En écrivant, je fais sans cesse des excursions dans l’enfer où nous vivons. Mais c’est aussi la quête de la beauté dans la langue, la sexualité, la passion. Comme metteur en scène, je veux créer des images fortes. Ce rapprochement d’un monde sauvage avec des visions esthétiques, c’est l’expérience de la tragédie.
La tragédie, c’est, pour moi, ce qu’il y a de plus important dans le théâtre et dans les arts.
De quel milieu social venez-vous ?
Un milieu où il y avait des serveurs, des agents de police, des conducteurs de tram ! La banlieue sud de Londres. Comment je suis devenu un écrivain ? C’est un mystère ! La politique de l’après-guerre, en Angleterre, permettait à certains jeunes des milieux défavorisés d’accéder à l’université. J’ai étudié l’histoire à l’université du Sussex, en travaillant surtout sur l’histoire de la France au XIXe siècle. J’ai alors écrit quelques romans un peu grotesques. On me disait à chaque fois que les dialogues en étaient les éléments les plus intéressants.
À partir de 1969, j’ai pu écrire du théâtre pour la BBC, et j’ai rencontré là William Gaskill, un personnage influent proche du style surréaliste, qui m’a beaucoup aidé. [...]

Cinq volumes d’oeuvres choisies d’Howard Barker ont paru aux éditions Théâtrales (traductions de Jean-Michel Déprats, Marie-Lorna Vaconsin, etc.).



Mais aussi...

Le site pédagogique des enseignants de théâtre

http://www.dramaction.qc.ca/index.php

et encore...

Nous sommes (Le Théâtre du Soleil) au programme du bac, voilà pourquoi nous avons créé ce site…

http://www.lebacausoleil.com/SPIP/sommaire.php3

Le cahier des larmes

L’acteur est un écrivain en mouvement, un auteur en train de construire non la fable mais les ressorts de la fable.

Il ne raconte pas la relation mais la chimie des relations.

L’acteur n’est pas physique mais chimique dirait le spectateur attentif.

Oui, il y a de cela dans l’acte de lire un texte de théâtre : rien n’est donné , tout est en train de se construire.

Mais un acteur qui lit, qui est-ce ?

Un acrobate du provisoire?

Il s’agit à chaque fois d’expériences fatigantes, épuisantes même pour certains, charmeuses et enivrantes aussi, mais jamais de production théorique. Il est question, dans la lecture d’une expérience intime, pointue, terrassante parfois.

La lecture, c’est la poésie à l’état brut qui se donne à voir à creux qui ne savent pas encore déchiffrer le braille. La lecture c’est l’expérience de la vie individuelle passée par l'instrument du son.

Lire, c’est, quoiqu’il advienne du texte qui est mis en lecture, un acte d’une profonde liberté. Quel que soit le texte.

Un texte infâme, ignoble, aberrant, insane, insultant, s’il est mis en lecture devient en un seul instant un objet de contact, un instrument de dialogue ou, autrement dit, si nous étions logés définitivement au pays des assassins, ce serait un outil qui montrerait à quel point l’homme est facile à ouvrir.

Le texte est un ouvre-boîtes !

Lire, c'est l’approche, au fond de soi, d’un souvenir étrange et lointain, celui de l’expérience commune des hommes qui soudain nous appartient...en propre, le temps de la lecture.

De la même façon, l’acteur nous donne à entendre les échos d’un texte plus que la réalité du texte.

Il lit comme nous nous souvenons de notre propre expérience.

C’est-à-dire qu’il s’approche du texte comme nous nous rapprochons de notre mémoire, à pas de loups, les yeux embués de croyances, prêts à ne rien voir...

Daniel Simon, janvier 1999, Aveiro, Portugal