mardi, août 22, 2006

La théâtrotèque

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La Théâtrotèque
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Sont consultables (au 20 décembre 2001) les pièces des auteurs affichées à la droite de cette page.
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§ Sommaire Texte intégral
§ Bibliographie
§ Exercices
§
Méthodes et problèmes
Le mode dramatique
Éric Eigenmann, © 2003Dpt de Français moderne – Université de Genève
Sommaire
I. Texte et théâtralité
1. Qu'est-ce que le théâtre?
1. Art du spectacle et genre littéraire
2. Théâtralité
3. Espace architectural et réseau métaphorique
2. Qu'est-ce qu'un texte de théâtre?
1. Critères extrinsèques et intrinsèques
2. Dramatique vs. théâtral
3. Structure énonciative du texte dramatique
1. Enoncé et situation d'énonciation
2. Enjeux sémantiques
4. Répliques et didascalies
1. Didascalies diégétiques et techniques
2. Extension de la voix didascalique
3. Le présentateur
4. Didascalies internes
5. La double énonciation dramatique
II. Economie de la parole
1. Répartition
2. Adresse
1. Monologue et soliloque
2. Aparté et adresse au public
3. Rythme
1. Tirade et stichomythie
2. Tempo
4. Mode d'échange
1. Interlocution
2. Réplique flottante, faux dialogue et choralité
III. Dialogue dramatique et conversation
1. Montage des voix
2. La parole comme acte
1. Approche pragmatique
2. Approche communicationnelle
3. La parole comme coopération
1. Principes conversationnels
2. Transgression des principes conversationnels
4. Tropes communicationnels
1. Le récepteur extradiégétique
2. Le récepteur intradiégétique
5. Dénégation et interprétation
§ Bibliographie
I. Texte et théâtralité
Bérénice de Racine, Le jeu de l'amour et du hasard de Marivaux, Lorenzaccio de Musset, En attendant Godot de Beckett... Largement constituée de ce que l'on appelle des textes ou des pièces de théâtre, la littérature – française en l'occurrence – entretient avec le théâtre des rapports complexes, source d'une problématique originale. Les études littéraires s'y arrêtent d'autant plus volontiers depuis la fin du XXe siècle qu'elles s'intéressent davantage aux relations de la littérature avec les autres arts, et à la part déterminante pour la signification du texte que prennent les conditions dans lesquelles il se donne à lire ou à entendre. L'essor des études théâtrales à cette époque tient d'ailleurs de cette ouverture.
Le présent cours s'intéresse à la poétique du texte dramatique en limitant le champ d'observation à la textualité, voire à la texture de celui-ci: de quoi cette oeuvre verbale singulière est-elle faite? Le recours à des outils linguistiques n'étonnera donc pas. Sous divers aspects, la question de l'énonciation traverse les trois chapitres. Dans les grandes lignes, le premier définit le texte dramatique, le deuxième dégage quelques modes de relation entre les voix qui le composent et le troisième éclaire la spécificité du dialogue de théâtre.
I.1. Qu'est-ce que le théâtre?
I.1.1. Art du spectacle et genre littéraire
Les rapports entre texte et théâtre dépendent évidemment des acceptions du mot théâtre, multiples, dont on retiendra les cinq suivantes:
Le théâtre (1) désigne un art du spectacle, art combinatoire impliquant diverses techniques d'expression corporelles et vocales, mais aussi plus largement visuelles et auditives, qui élabore une forme de représentation dans l'espace pouvant procéder d'un texte de théâtre (au sens 2) ou donner lieu à son écriture; c'est plus globalement l'événement socio-culturel qui réunit pour l'occasion, en un même espace et au même moment, les acteurs et les spectateurs de cette représentation.
Le théâtre (2), c'est aussi un genre littéraire qualifié de dramatique, qui forme avec l'épique et le lyrique (le récit et la poésie) la fameuse triade romantique des genres, elle-même issue de l'alternative poétique (narratif / dramatique) décrite par Platon et Aristote. Lui appartiennent des textes ou écrits littéraires dotés de certaines caractéristiques liées à la représentation théâtrale, qui les font en général reconnaître d'un coup d'oeil (voirinfra, 1.4) et opèrent un classement dans l'oeuvre d'un auteur: le théâtre de Victor Hugo par opposition à ses romans et à sa poésie.
Cette première ambivalence appelle la remarque suivante, formulée par Jerzy Grotowski: En France, les pièces publiées en livres sont désignées sous le titre de Théâtre – une erreur à mon sens, parce que ce n'est pas du théâtre, mais de la littérature dramatique (Grotowski, 1969, p. 53-54). L'anglais dispose en revanche de deux termes,theatre etdrama. Si le français confère au mot drame des sens qui excluent de suivre la langue de Shakespeare (dont celui retenu dans [L'oeuvre dramatique]), il est néanmoins possible de s'en inspirer pour les adjectifs en réservant dramatique au texte et théâtral à la scène, conformément d'ailleurs à l'usage qu'Aristote fait du premier et à l'étymologie grecque du second, rappelée plus bas.
I.1.2. Théâtralité
Le théâtre (3), c'est encore et peut-être surtout la qualité particulière que l'on reconnaît à la représentation ou au texte en question (théâtre 1 et 2) lorsqu'ils sont réussis, efficaces: ça, c'est du théâtre! Roland Barthes parle en ce sens dès 1954 de théâtralité, concept forgé à partir de l'adjectif théâtral – parallèllement à littéraire/littérarité – pour désigner la propriété du phénomène. Il la situe dans l'épaisseur de signes qui caractérise la représentation scénique:
Qu'est-ce que le théâtre? Une espèce de machine cybernétique [une machine à émettre des messages, à communiquer]. Au repos, cette machine est cachée derrière un rideau. Mais dès qu'un la découvre, elle se met à envoyer à votre adresse un certain nombre de messages. Ces messages ont ceci de particulier, qu'ils sont simultanés et cependant de rythme différent; en tel point du spectacle, vous recevez en même temps 6 ou 7 informations (venues du décor, du costume, de l'éclairage, de la place des acteurs, de leurs gestes, de leur mimique, de leur parole), mais certaines de ces informations tiennent (c'est le cas du décor) pendant que d'autres tournent (la parole, les gestes); on a donc affaire à une véritable polyphonie informationnelle, et c'est cela la théâtralité: une épaisseur de signes.
(Littérature et signification, Essais critiques, Seuil/Points, 1981 (1963), p. 258)
La fonction signifiante démarque d'abord le théâtral, schématiquement, du tout spectaculaire (un feu d'artifice): en tant que système de signes, le théâtre renvoie à un univers absent, fictif. Suggérant des couches irréductibles entre elles, la notion d'épaisseur démarque ensuite le théâtral du tout textuel: la signification ne saurait se limiter à celle(s) du message linguistique, qu'il soit le seul ou que les autres coïncident avec lui (par hypothèse: une simple récitation ou une image scénique parfaitement redondante). Une formulation antérieure de Barthes peut même sembler dénier au texte sa part de théâtralité (c'était à peu près la position d'Antonin Artaud):
Qu'est-ce que la théâtralité? C'est le théâtre moins le texte, c'est une épaisseur de signes et de sensations qui s'édifie sur la scène [...]
(Le théâtre de Baudelaire, Essais critiques, Seuil/Points, 1981 (1954), p. 41)
Or il s'agit bien pour Barthes d'une soustraction (le théâtre moins le texte), qui au sens mathématique aboutit non pas à une suppression mais à une différence, dynamique, entre la représentation scénique et le texte dramatique en l'occurrence – opération réversible en addition: la scène ajoute au texte pour construire la théâtralité de la représentation. La pièce que composent les personnages d'Abel et Bela de Robert Pinget l'illustre: si ce n'est pas du théâtre, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, c'est moins à cause de la platitude des répliques que parce qu'elles collent trop bien à leur contexte, sans surprise ni dialectique.
I.1.3. Espace architectural et réseau métaphorique
Le théâtre (4) s'applique en outre à un espace architectural. A l'origine, letheatron grec est exclusivement le lieu, flanc de colline ou gradins, d'où l'on assiste à un spectacle. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce sera au contraire l'espace offert aux regards, la scène, et par extension tout le bâtiment dès que seront construites des salles de théâtre. Cette acception met l'accent sur la relation visuelle, spectatorielle, qu'instaure l'art théâtral entre un regardant et un regardé.
Le théâtre (5) couvre enfin un vaste réseau métaphorique, qui retient du sens propre les aspects spectaculaires, architecturaux et/ou fictionnels: théâtres d'exploits ou de violences, théâtres de montagnes, simulacres ou feintes considérées comme du théâtre ou de la comédie.
I.2. Qu'est-ce qu'un texte de théâtre?
I.2.1. Critères extrinsèques et intrinsèques
Cette polysémie rappelée, quels traits communs partagent donc les pièces de Racine, de Marivaux, de Musset, de Beckett et de tous les autres? Les définitions qui précèdent fournissent surtout des critères extrinsèques, telle la destination scénique du texte, qu'elle ait été prévue par son auteur ou rendue effective par sa mise en scène. Non seulement ces critères ne rendent pas compte d'une specificité textuelle, mais ils présentent le double défaut d'être à la fois potentiellement contradictoires et provisoires, car des textes qui n'ont pas été écrits pour le théâtre sont portés à la scène avec succès, parfois longtemps après leur parution (la pièce Les Brigands de Schiller, sous-titrée Lesedrama soit drame à lire, le roman Les Cloches de Bâle d'Aragon); tandis qu'à l'inverse, des textes composés pour des comédiens (notamment au XVIIe et au XXe siècles) attendent toujours d'être joués.
Et le texte lui-même, indépendamment de son contexte? Certes, il se prête apparemment mieux au théâtre dans la mesure où des personnages y dialoguent dans un milieu concret, visuellement et auditivement perceptible; de tels éléments seraient autant de matrices de théâtralité (Ubersfeld). Dans cette perspective, toujours selon Barthes,
la théâtralité doit être présente dès le premier germe écrit d'une oeuvre, elle est une donnée de création, non de réalisation. [...] le texte écrit est d'avance emporté par l'extériorité des corps, des objets, des situations; la parole fuse aussitôt en substances.
Ibidem, p. 42
Toutefois l'évolution de la mise en scène au XXe siècle, révélant la dimension normative, voire idéologique de la plupart des critères intrinsèques avancés par les théoriciens antérieurs, a démontré qu'on pouvait faire théâtre de tout (Antoine Vitez), quitte à ce que seul le comédien supplée l'éventuelle pauvreté sensorielle de l'univers évoqué.
I.2.2. Dramatique vs. théâtral
Mieux vaudrait donc parler de texte dramatique et réserver l'adjectif théâtral à la scène proprement dite, conformément à l'étymologie du mot théâtre, issu de la famille du verbe voir, être spectateur, en grec ancien: letheatron est le lieu où l'on assiste à un spectacle, jamais le genre de textes qui y sont représentés [I. 1].
Cela ne signifie pas que tout texte est dramatique, mais qu'il peut le devenir. Le travail – minimal! – nécessaire pour adapter un texte narratif en vue de la scène consiste non pas à le modifier sur le plan lexical ou syntaxique, pour le rapprocher par exemple du langage parlé, mais à le mettre dans la bouche d'un ou de plusieurs personnages, ou du moins à en faire l'expression d'une ou de plusieurs voix clairement distinctes de celle de l'écrivain. La spécificité du texte de théâtre réside en définitive dans la relativisation du discours qu'opèrent ces données circonstancielles, cette mise en situation. C'est précisément de leur incidence que dépend ce que nous avons défini comme théâtralité.
I.3. Structure énonciative du texte dramatique
I.3.1. Enoncé et situation d'énonciation
Platon relèvait déjà, dans La République, que dans la tragédie et la comédie le poète cherche à nous faire croire que c'est un autre que lui qui parle. D'Aubignac au XVIIe siècle en fait une règle: Dans le poème dramatique il faut que le poète s'explique par la bouche des acteurs; il n'y peut employer d'autres moyens. L'énoncé y est en effet donné à lire assorti d'une précision déterminante, le fait d'être attribué à un sujet parlant explicitement différent de l'auteur ou d'une voix susceptible d'être confondue avec la sienne, désigné en général par un nom (Agamemnon, Tartuffe, Le Soldat, H3, etc.). Plus ou moins étoffée, une information est donc livrée sur la situation dans laquelle s'énonce le discours selon la fiction proposée, sur sa situation d'énonciation. Même ténue, elle marque par rapport à lui une distance, fût-elle minime, une médiation – par opposition au discours immédiat qui semble adressé directement au lecteur par la voix narrative: Longtemps je me suis couché de bonne heure, phrase initiale de la Recherche du temps perdu de Proust, si elle esquisse les traits de qui est en mesure de l'assumer, ne dit strictement rien de la situation dans laquelle elle est émise.
I.3.2. Enjeux sémantiques
Or, la linguistique moderne l'a montré, la signification d'un énoncé est déterminée non seulement par sa composition lexicale et syntaxique mais par sa situation, ou ses conditions; en fonction d'elles, la parole accomplit une action, qui les fait évoluer [III.2]: il fait frais peut indiquer une température agréable ou désagréable, inciter ou non à monter le chauffage. Dans Fin de partie de Beckett, deux personnages s'expriment emprisonnés dans des poubelles: que signifie donc une parole qui sort d'un tel endroit, articulée de surcroît par des vieillards invalides que leur fils traite d'ordures?... La situation d'énonciation vaut ici autant sinon plus que l'énoncé lui-même. La représentation théâtrale, où la parole donnée en spectacle l'est nécessairement dans une situation spatio-temporelle particulière, ne cesse d'en jouer. Semblablement, le texte écrit met en scène les êtres qu'il fait parler – l'expression n'est pas que métaphorique.
I.4. Répliques et didascalies
Après titre et liste des personnages, le premier acte des Serments indiscrets de Marivaux commence ainsi:
SCÈNE PREMIÈRE. – LUCILE, UN LAQUAIS
LUCILE est assise à une table, et plie une lettre; un laquais est devant elle, à qui elle dit.– Qu'on aille dire à Lisette qu'elle vienne. (Le laquais part. Elle se lève.) Damis serait un étrange homme, si cette lettre ne rompt pas le projet qu'on fait de nous marier.
Lisette entre.
SCÈNE II. – LUCILE, LISETTE
LUCILE.– Ah! te voilà. Lisette, approche; je viens d'apprendre que Damis est arrivé hier de paris, qu'il est actuellement chez son père; et voici et voici une lettre qu'il faut que tu lui rendes, en vertu de laquelle j'espère que je ne l'épouserai point.
LISETTE. – Quoi! cette idée-là vous dure encore? Non, madame, je ne ferai point votre message; Damis est l'époux qu'on vous destine [...].
Deux niveaux énonciatifs se dégagent d'emblée, ne serait-ce que typographiquement, déterminant deux types de voix: d'une part les répliques, texte supposé être proféré sur scène, qui constituent ensemble le dialogue et pour chaque personnage ce qu'on appelle précisément son rôle; d'autre part les didascalies, texte qui introduit de quelque manière ces discours et les cite, soit tout ce qui ne serait pas proféré dans le cas d'une représentation conforme au texte écrit, de la liste des personnages au noir final en passant par le découpage des scènes. Quoiqu'elles puissent souvent passer pour négligeables, les didascalies, même laconiques, déterminent ou peuvent déterminer:
§ qui est présent, qui parle (Lucile), éventuellement qui se tait (le laquais), personnages qu'elles peuvent décrire; elle attribue l'énoncé aux personnages;
§ à qui la parole est adressée (le laquais) [II.2];
§ où se trouvent et se déplacent les personnages, dans quel lieu et dans quelle position par rapport aux autres ou aux objets (Lucile attablée près d'un laquais);
§ quand se passe la scène et à quel moment dans le cours de l'action se fait entendre telle phrase en particulier (Lucile parle de Damis lorsqu'elle est seule);
§ comment les personnages s'expriment, en accomplissant quel mouvement, dans quelle humeur, selon quel rythme, etc.;
§ pourquoi ils agissent de la sorte, quelle est leur motivation. C'est un scélérat qui parle, précise Molière au cours d'une réplique de Tartuffe (Tartuffe, IV. 5)!
Qui, à qui, où, quand, comment, pourquoi: répondant de façon très variable à toutes ces questions ou à quelques-unes d'entre elles seulement, les didascalies précisent la situation de communication, déterminent une pragmatique, c'est-à-dire les conditions concrètes de l'usage de la parole, indispensables et décisives pour l'interprétation.
Dans les toutes dernières lignes d'En attendant Godot de Beckett, Vladimir dit à Estragon Alors, on y va?, Estragon répond Allons-y. Leurs répliques suggèrent qu'ils vont renoncer à leur fameuse attente et quitter le lieu qu'ils ont occupé pendant toute la pièce, que leur situation va enfin connaître une véritable évolution. Mais la didascalie qui suit ajoute: Ils ne bougent pas. Et toute l'interprétation de basculer: on comprend alors que l'action demeure sur le plan du discours, que rien ne va changer.
I.4.1. Didascalies diégétiques et techniques
On remarque en outre dans cet exemple qu' Ils ne bougent pas peut être lu comme une description (des personnages) ou comme une prescription (à l'adresse des comédiens). De manière générale, les didascalies concernent en effet soit la situation fictive de l'histoire représentée, soit la situation réelle de la représentation scénique proprement dite: dans le premier cas, on les qualifie de diégétiques, dans le second, de techniques. Celles-ci, également nommées indications scéniques ou de régie, suivent au plus près l'étymologie de didascalies – des instructions.
I.4.2. Extension de la voix didascalique
Jamais sans doute la voix didascalique ne se fait plus discrète que dans la pièce de Bernard-Marie-Koltès La Nuit juste avant les forêts. Aucun espace n'est désigné, ni aucun personnage annoncé: le texte a tout d'un long monologue intérieur. Mais, détail essentiel, il est flanqué de guillemets, qui s'ouvrent avant le premier mot pour se fermer après le dernier. Guillemets qui signifient que le texte cite quelqu'un, un personnage qui parle. Il s'agit donc toujours énonciativement parlant de discours direct, signalé par la présence, discrète mais indéniable, d'une marque attributive.
Historiquement, c'est pourtant l'évolution inverse qui s'est produite: au fur et à mesure qu'on avance dans l'histoire du théâtre, on note plutôt, schématiquement, une amplification, une extension de la didascalie par rapport au dialogue. A l'inverse de l'effacement observé chez Koltès, la didascalie peut en effet s'enfler considérablement, et briguer tout de même le statut de voix narrative. Le phénomène commence avec les comédies mixtes de la période baroque, se poursuit sous la plume des dramaturges du XVIIIe (avant Beaumarchais, celle de Diderot, adepte de la pantomime, introduit de la sorte dans les pièces de véritables tableaux vivants), il s'amplifie ensuite avec le mélodrame romantique, pour donner lieu à des indications tatillonnes chez Feydeau et aboutir dans le théâtre contemporain à Acte sans paroles (I et II, 1956 et 1959) de Beckett, longue didascalie décrivant les faits et gestes d'un personnage muet. Didascalie comparable, de soixante-dix pages, dans la littérature dramatique allemande: L'Heure où nous ne savions rien l'un de l'autre de Peter Handke.
I.4.3. Le présentateur
Dans la mesure où la didascalie est un énoncé narratif, le sujet de son énonciation peut être considéré comme un narrateur. Reprenons notre exemple: Lucile est assise à une table, et plie une lettre. Un laquais est devant elle [...]. Le laquais part. Elle se lève. On remarque l'absence de marques de subjectivité (de mots déictiques ou modalisants). En ce qui concerne les catégories de la narratologie genettienne, un tel narrateur peut être qualifié d’extradiégétique et d’hétérodiégétique [La voix narrative, V.3]. Objectif et limité au périmètre visible de la scène, son discours procède d’une focalisation externe [La perspective narrative] et d’une narration simultanée, sans recul temporel. Il est en ce sens comparable à une sorte de reportage en direct.
Il s’agit là de traits généraux, non de règles exclusives. D’autres cas existent : dans Berlin ton danseur est la mort d'Enzo Cormann par exemple (Paris, Edilig, 1983), une partie de la didascalie présente une narration homodiégétique et ultérieure: Il y avait cette cave que Nelle, ma compagne, Elis ma fille, et moi-même occupâmes de mars 1944 à la fin de 1946. Il arrive aussi que la didascalie, provisoirement non focalisée, couvre un domaine différent, tel que l'intériorité des personnages.
Cependant, le terme unique de narrateur convient d’autant plus mal que la didascalie désigne et raconte moins. Chez Racine ou Molière par exemple, qui pouvaient au besoin préciser directement leurs intentions aux interprètes de leurs pièces, elle se limite à de très rares exceptions près à l'attribution des énoncés à tel ou tel personnage. On parle parfois de scripteur (Ubersfeld) ou de montreur (Viswanathan) ; nous proposons d’appeler présentateur cette instance énonciative, qui présente les intervenants et présentifie leur discours.
I.4.4. Didascalies internes
Les didascalies ne sont toutefois pas seules à fournir des éléments pour établir la situation d'énonciation, les répliques ne cessent d'en suggérer chaque fois qu'un personnage se réfère à son environnement ou aux êtres qui l'habitent. Prends un siège, Cinna (Corneille, Cinna), Voilà un homme qui me regarde (Molière, George Dandin)... Par opposition aux didascalies externes au dialogue qui viennent d'être décrites, il est parfois question alors de didascalies internes. Pourtant, celles-ci demeurent fondamentalement irréductibles à celles-là étant donné leur subjectivité, qui autorise les paroles trompeuses, intentionnelles ou non. Il s'agit plus précisément d'implicites et de présupposés du discours, auxquels le lecteur choisit de conférer une valeur objective. Pour preuve de leur hétérogénéité, d'éventuelles contradictions:
Le Vieux.– Bois ton thé, Sémiramis. Il n'y a pas de thé, évidemment.
Ionesco, Les Chaises
A vrai dire, dans la mesure où il peut être interprété de manière à dégager des indications au sujet de la mise en scène, tout discours est potentiellement didascalie interne . Aussi l'expression s'en trouve-t-elle largement disqualifiée.
I.5. La double énonciation dramatique
En résumé, le texte dramatique se distingue par sa double énonciation, à savoir les deux énonciations que nous venons de relever, l'une enchâssée dans l'autre. Dans une pièce de théâtre, ce n'est pas en dernière instance le personnage qui s'exprime: de même que tout ce qu'énonce un personnage, son je ne lui appartient pas, ce n'est jamais que l'énoncé qu'un présentateur [I.4.3] attribue ou prête au personnage, personnage dont le montreur – pour continuer selon la même métaphore – emprunte la voix pour émettre une parole.
Cette structure énonciative se trouve certes aussi dans les dialogues de roman. Des passages de Jacques le Fataliste de Diderot se présentent même exactement comme des dialogues de théâtre, y compris sur le plan typographique. C'est tout simplement que le roman lui aussi peut contenir du discours dramatique (rapporté). Aristote le dit: l'écriture théâtrale crée des personnages susceptibles d'être incarnés par tel ou tel [acteur], mais déjà donnés par la structure même du texte comme personnages dramatiques (R. Dupont-Roc et J. Lallot in Aristote, La Poétique, notes). L'adjectif dramatikos dont il use renvoie ainsi, par delà le jeu dramatique, à la caractéristique qui en fonde la possibilité – au mode d'énonciation qui distribue le je entre les personnages, mode présent dans l'épopée lorsqu'elle cite la parole d'un personnage (Ulysse qui raconte lui-même son histoire dans L'Odyssée par exemple). Cette extension du territoire du dramatique fait d'ailleurs partie de l'usage courant, dans la mesure où l'on parle de scène – Genette par exemple dans Figures III – pour désigner à l'intérieur d'un roman un passage dialogué dont le narrateur cède la parole aux personnages.
Ce qui se définit de cette manière comme dramatique, ce n'est donc pas un texte exemplaire d'un genre, mais du texte qui s'énonce selon l'enchâssement décrit, un mode d'énonciation du discours caractérisé par cette dualité.
II. Economie de la parole
II.1. Répartition
Etant donné que l'intervention de plusieurs locuteurs au théâtre est non seulement possible mais attendue, ce geste d'attribution implique également une distribution du discours, qu'on qualifie comme tel de dialogué. Selon l'étymologie, le dialogue (terme potentiellement trompeur [II.4 et III]) fait alterner deux voix, opposition fondatrice du théâtre antique: entre choeur et coryphée d'une part, choeur et protagoniste d'autre part; à l'échelle de la scène, il domine jusqu'à la fin du XVIIe siècle, avant de s'affirmer de nouveau dans la seconde moitié du XXe. Le dialogue peut toutefois reposer sur une distribution moins équilibrée, provisoirement ou non, jusqu'à ne faire entendre qu'une seule voix: le monologue et le soliloque, aux frontières confuses [II.2.1] sont ces cas limite. Il peut au contraire réunir trois voix ou plus, à moins qu'on ne préfère parler alors de trilogue ou de polylogue. Dès les tragédies d'Eschyle, deux personnages sont en effet capables, dans la configuration la plus complexe, de s'entretenir aussi bien entre eux qu'avec le choeur et le coryphée. Cette répartition de la parole proférée ne préjuge en riende l'échange verbal ménagé, ou non, par les différentes interventions [II.4].
Si l'on considère en outre le lecteur/spectateur, destinataire ultime de toute réplique, comme un interlocuteur potentiel, le monologue apparaîtra dialogue, le dialogue, trilogue et le trilogue, polylogue...
II.2. Adresse
Le texte dramatique s'adresse globalement et en dernière instance au lecteur/spectateur, cela va de soi. Mais à l'intérieur de la fiction représentée? La didascalie indique en général qui prend la parole mais beaucoup plus rarement à qui il s'adresse, de sorte que le discours dramatique se caractérise aussi par la quête de son destinataire, celui-ci étant à la fois indispensable à l'interprétation et toujours susceptible de se dérober, de changer et surtout de se multiplier. Or de la représentation d'un interlocuteur dans l'énoncé ou de son absence résultent plusieurs types de discours. Cinq possibilités se dégagent: que le personnage s'adresse à un interlocuteur présent (c'est le cas du discours dialogué, dont les nombreuses formes ne peuvent être présentées ici); qu'il s'adresse à un interlocuteur absent, à lui-même, au lecteur/spectateur ou qu'il ne s'adresse à personne, apparemment du moins.
II.2.1. Monologue et soliloque
Mieux que par la présence physique d'un second personnage, c'est par celle que manifeste ou représente l'énoncé lui-même qu'on distingue le plus clairement le monologue et le soliloque, dont les dictionnnaires et manuels spécialisés donnent des définitions contradictoires. On conviendra – dans le sillage de Jacques Schérer (1983) et d'Anne-Françoise Benhamou (Corvin, 1995) – que le monologue désigne le discours tenu par un personnage seul ou qui s'exprime comme tel, s'adressant à lui-même ou à un absent, lequel peut être une personne (divine ou humaine, voire animale) ou une personnification (un sentiment, une vertu: mon coeur, mon devoir, éventuellement une chose). Tout monologue est ainsi plus ou moins dialogué, car l'on parle toujours à quelqu'un, ne serait-ce qu' à soi-même.
On suivra Anne Ubersfeld, en revanche, pour limiter le soliloque à un discours abolissant tout destinataire et douter par conséquent qu'il n'existe jamais de vrai soliloque au théâtre (1996, p. 22). Certains monologues s'en approchent cependant depuis la seconde moitié du XXe siècle, telle la logorrhée de Lucky dans En attendant Godot de Samuel Beckett.
Monologues et soliloques remplissent de manière privilégiée une fonction épique, dans les scènes d'exposition notamment, une fonction délibératrice, lorsqu'ils oeuvrent par exemple à la formulation et à la résolution d'un dilemme, et une fonction lyrique (parfois invocatoire), qui les apparente à un monologue intérieur extériorisé (Larthomas, 1980, p. 372).
Notons, afin de ne pas confondre monologue et tirade [II.3.1], que la longueur ne constitue pas pour le premier un critère pertinent. Aussi prolixe qu'il puisse être devant un confident quasi muet, un héros classique continue d'entretenir avec lui un dialogue (voir faux dialogue [II.4.2]). Et à l'inverse, même relativement brèves, certaines interventions de héros romantiques, si l'on peut qualifier ainsi les personnages de Musset par exemple, doivent être classées comme monologues.
II.2.2. Aparté et adresse au public
L'adresse délimite également l'aparté, sorte de monologue bref dans lequel le locuteur se retire provisoirement du dialogue pour introduire une réflexion à part, pour lui-même, perceptible cependant par un ou plusieurs tiers: un autre personnage parfois, le lecteur/spectateur toujours. Si l'aparté reste en principe le plus bref possible, afin de ne pas interrompre l'échange en cours, rien n'empêche pourtant de le prolonger: Jean Tardieu le fait dans Oswald et Zénaïde ou Les Apartés, pièce qui inverse les proportions habituelles au point de réduire la communication directe entre les personnages à quelques mots.
D'un public témoin à un public pris à témoin, voire élevé au rang d'interlocuteur principal comme dans les prologues et épilogues ou dans lessongs brechtiens, il n'y a qu'un pas: on peut qualifier de faux apartés les adresses au public, qui comme leur nom l'indique privilégient ouvertement la communication extradiégétique et les effets qui lui sont liés. Quoique le lecteur/spectateur ainsi interpellé appartienne à la fiction comme le narrataire d'un récit romanesque, une telle adresse joue par métalepse [La voix narrative, VII.1] de l'ambiguïté entre cette figure textuelle et le lecteur/spectateur. Ambiguïté d'autant plus forte à la représentation qu'elle en a une autre pour corollaire: où s'arrête le comédien, où commence le personnage? Prologues et épilogues, justement, thématisent parfois le passage de l'un à l'autre, dans les deux sens, tels des sas de décompression entre réalité et fiction.
II.3. Rythme
II.3.1. Tirade et stichomythie
La fréquence des répliques et les rapports quantitatifs qu'elles entretiennent contribuent à déterminer le rythme du dialogue, produit plus largement par tout effet de répétition (Larthomas, 2001, p. 309). Comme pour la vitesse du récit en narratologie, les accélérations et ralentissements sont aussi révélateurs, sinon plus, que le rythme lui-même.
La tirade désigne une réplique relativement longue qu'une unité thématique ou formelle, ainsi qu'une certaine contingence dans le déroulement de l'action distinguent du reste de la pièce – qu'on pense à la tirade des nez dans Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand. Elle suspend l'échange verbal. La stichomythie tend en revanche à le précipiter, en juxtaposant des répliques brèves de même longueur (au sens strict: hémistiche contre hémistiche ou vers contre vers), qui se livrent à un duel – ou duo – verbal.
II.3.2. Tempo
Un échange verbal plus serré pouvant appeler une exécution vocale plus rapide, la répartition du dialogue ne sera pas non plus sans incidence sur le tempo, soit la rapidité à laquelle une scène doit être jouée [ ou lue ] (ibidem, p. 72). Mais un tel devoir reste à la fois subjectif et variable, de sorte que le rapport relève largement de la suggestion.
Un exemple: Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès se signale par le rythme des tours de parole entre les deux personnages, régulier puis subissant une accélération croissante à mesure que leurs répliques diminuent de manière parallèle, passant de plusieurs pages à quelques mots. Si la mise en scène de la pièce choisit d'en tirer parti, elle pourra toujours jouer du débit vocal et des silences pour étirer néanmoins la représentation dans le temps [La mise en scène]. Il en va de même à la lecture, dont la vitesse ne saurait être prescrite.
II.4. Mode d'échange
II.4.1. Interlocution
Après s'être penché sur le découpage du texte en répliques, il importe de considérer leur enchaînement, auquel président les principes linguistiques du dialogue, à commencer par l'interlocution. Sur le plan de la communication intradiégétique (ou diégétique) l'échange peut être plus ou moins signifié, et les répliques mériter plus ou moins leur nom: tantôt elles se répondent, alternant par exemple première et deuxième personne, tantôt elles apparaissent moins intersubjectives, notamment lorsqu'il s'agit de récits ou de sentences, jusqu'à ne l'être plus du tout. Du côté du premier pôle, la dispute; du second pôle, le polylogue anarchique: on y entend les voix suspendues de parlants isolés, provoquant par exemple des effets de foule.
II.4.2. Réplique flottante, faux dialogue et choralité
Poursuivant la seconde tendance, repérable notamment chez Tchekhov, quelques auteurs de la seconde moitié du XXe siècle expérimentent la réplique flottante. Michel Vinaver en particulier juxtapose des fragments de conversations différentes, où les pronoms de la deuxième personne se révèlent en général un leurre puisqu'ils ne sauraient correspondre aux locuteurs voisins inscrits dans une autre situation d'énonciation. Dialogue de dialogues: le jeu dialectique connaît là un niveau supplémentaire.
Toutes les configurations intermédiaires sont envisageables, sinon réalisées. Mentionnons divers faux dialogues (dialogue déséquilibré avec un faire-valoir effacé, juxtaposition de répliques dépourvues d'échange dialectique, comme autant de monologues de sourds, etc.), et toutes les formes de choralité (duos, trios, quatuors aux voix convergentes et homogènes sur le plan thématique, syntaxique, stylistique...), où se fait entendre, plutôt que des individus, tantôt une collectivité tantôt la voix du poète, dont les intervenants semblent les simples relais:
LAETAMaintenant c'est la nuit encore !
FAUSTAMaintenant pour un peu de temps, encore...
LAETA... Que tardive et que menacée...
BEATAC'est la dernière nuit avant l'Eté!
Claudel, La Cantate à trois voix. Paris: Gallimard, 1931, pp.13-14.
III. Dialogue dramatique et conversation
Correspondant à un récit de paroles particulier de la narratologie genettienne, le discours rapporté, de type dramatique (Genette, 1972, p. 189-193), le dialogue de théâtre entretient avec son objet premier un rapport mimétique, que lui reprochait Platon: mots pour mots, échange verbal pour échange verbal. Rapport d'autant plus mimétique qu'aucun type de discours ne lui est impossible et qu'il emprunte volontiers à la réalité: scènes de tribunal, négociations, échanges mondains. Il ne saurait toutefois être confondu avec les usages ordinaires de la parole, pour plusieurs raisons. Certaines d'entre elles sont stylistiques, évidentes lorsque la forme, versifiée par exemple, apparaît manifestement littéraire. Dans le cas contraire, qu'on pense au théâtre du quotidien des années 1970-1980, l'authenticité des discours n'en consiste pas moins en un effet d'écriture. Rédaction paradoxale d'une parole qui se donne pour proférée, le dialogue de théâtre allie langage oral et langage écrit. Mais les raisons les plus fondamentales de sa spécificité sont structurelles.
III.1. Montage des voix
Retranscrirait-il tout de même une conversation réelle, le dispositif d'attribution des interventions qui le caractérise en changerait le statut. Car dans un texte dramatique, on l'a vu, ce ne sont pas des personnages qui parlent, mais un présentateur qui les fait parler, pas des personnages qui se partagent la parole, mais un présentateur qui leur distribue des énoncés – de manière à tisser un échange ou à ne pas le faire. A citer le discours des personnages, l'auteur les cite en quelque sorte à comparaître tour à tour devant le lecteur/spectateur, selon l'ordre et les modalités qu'il aura déterminés. Le texte dramatique consiste ainsi en un montage de voix, une polyphonie fabriquée.
Cette fabrication, il tend soit à en effacer les traces, ménageant entre les répliques une continuité – d'interlocution notamment – qui simule l'autonomie d'une conversation réelle, soit à la mettre en évidence comme telle, manifestant ipso facto l'intervention d'un monteur, en fonction des choix esthétiques qui président à la composition de l'oeuvre.
III.2. La parole comme acte
Prononcer ne serait-ce que quelques mots dans une situation donnée ne se limite pas à transmettre une information: c'est en soi accomplir une action, qui provoque un effet. Dans la vie, cela peut rester insignifiant ou inaperçu; dans une pièce de théâtre, non, puisque tout ou presque passe par la parole, dans le cadre déterminé de l'oeuvre offerte à l'attention du lecteur. C'est au fur et à mesure des interventions verbales que les positions et les relations des personnages se modifient, que l'action progresse, que l'univers diégétique évolue. Deux approches linguistiques permettent d'analyser le phénomène.
III.2.1. Approche pragmatique
On observe avec John L. Austin (1962) que l'énoncé en situation réalise un acte triple:
§ acte locutoire, il véhicule un contenu sémantique (à savoir, dans notre exemple marivaudien, la signification littérale que le lexique et la grammaire françaises confèrent à voici une lettre qu'il faut que tu lui rendes);
§ acte illocutoire, il institue un rapport conventionnnel avec l'interlocuteur (le rapport hiérarchique en l'occurrence, où l'on donne et reçoit des ordres);
§ acte perlocutoire, il a un impact, suscite des réactions, affectives ou physiques (Lisette va s'indigner, résister).
Ce point de vue gagne à être complété par une analyse du processus de communication.
III.2.2. Approche communicationnelle
Ce processus, Roman Jakobson (1963) le décompose en six éléments: le référent, le récepteur, l'émetteur, le référent, le canal, le code et le message. Six fonctions, non exclusives l'une de l'autre, leur sont attachées.
§ La fonction référentielle, à l'oeuvre dans les passages narratifs en particulier, est sans doute celle dont joue le plus la double adresse dramatique: la réplique informe non seulement le personnage à l'écoute, mais le lecteur/spectateur, qui reconstitue ainsi la situation: c'est à ce dernier qu'est utile Damis est l'époux qu'on vous destine, pas à Lucile qui ne ne le sait que trop bien. A le rappeller néanmoins, Lisette exploite conjointement une autre fonction du langage,
§ la fonction conative ou impressive, qui permet d'exercer une pression sur autrui, de l'inciter à l'action. Elle est orientée vers le destinataire, contrairement à
§ la fonction expressive ou émotive, qui se centre sur le personnage parlant.
§ La fonction phatique entretient le canal même de la communication, quitte à ce que le message se vide de substance: chez Beckett et Ionesco, les mots ne servent parfois guère qu'à maintenir un contact, un peu désespéré, entre des personnages incapables de véritables échanges.
§ La fonction métalinguistique porte sur le code utilisé, vérifiant qu'il est partagé par les interlocuteurs, tandis que
§ la fonction poétique privilégie la formulation de l'énoncé, son esthétique, en vue des effets à obtenir.
On comprend ainsi combien la parole des personnages contient l'action jusque dans ses moindres développements. Phèdre de Racine l'illustre bien: l'enjeu tragique y tient moins au sens de la parole qu'à son apparition, moins par exemple à l'amour de Phèdre pour Hippolyte qu'à l'aveu de cet amour. Après l'avoir entendu, Hippolyte suggère d'ailleurs qu'on peut en limiter les conséquences en se taisant. Si dire, c'est faire, dire ou ne pas dire, au théâtre, est souvent toute la question.
III.3. La parole comme coopération
III.3.1. Principes conversationnels
Cette ressemblance problématique avec les échanges verbaux de la réalité quotidienne s'étend tout naturellement aux lois tacites que tout interlocuteur apprend en principe à respecter pour se faire comprendre. H. Paul Grice (1974) a dégagé en la matière un principe de coopération (cooperative principle) qu'il décompose en quatre catégories (kantiennes); pour contribuer à l'efficacité de la communication, l'intervention verbale devrait ainsi être adéquate sur le plan de
§ la quantité: ne livrer ni plus ni moins d'information que nécessaire
§ la qualité: s'avérer véridique, ou du moins sincère
§ la relation: se montrer pertinente, faire preuve d'à-propos
§ la modalité: se développer le plus clairement possible.
A quoi s'ajoutent des règles de convenance, esthétiques, sociales et morales, étudiées notamment par Erwing Goffmann.
III.3.2. Transgression des principes conversationnels
Certes, ces principes sont toujours suivis de manières diverses. Ils le seront plus librement encore dans le dialogue dramatique en raison de son artificialité, puisqu'il est conçu pour être enchâssé dans la relation littéraire ou théâtrale, donnée à voir et à entendre à des tiers. Dispensée de répondre aux mêmes exigences d'efficacité, l'oeuvre programme au contraire des accidents de communication, de manière à amorcer, nouer et relancer l'action langagière propre au texte de théâtre.
Pour livrer au lecteur/spectateur les informations nécessaires à la compréhension, les personnages dérogent au principe de quantité, notamment dans les scènes d'exposition du répertoire classique: après quelques vers seulement, nous connaissons du lieu de l'action, de l'identité et des motivations des protagonistes bien plus que nous n'aurions appris à surprendre une conversation dans la réalité. A l'inverse, le quiproquo (en latin, l'un pris pour l'autre) tient à une information lacunaire, source de malentendu. J'aime quelqu'un [...]. Un pauvre garçon [...]: dans la bouche de Roxane, pronoms sans références explicites et termes génériques équivoques permettent à Cyrano de croire un moment qu'il est aimé (Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, II. 6). Le principe de qualité est évidemment violé par le mensonge, destiné en général à préserver un secret, mais l'usage de la parole offre bien d'autres occasions de dissimuler, volontairement ou non, et de se méprendre. Quant à la pertinence et à la clarté normalement requises, qu'il suffise d'observer comment le Théâtre de l'Absurde au XXe siècle, par exemple, les (mal)traite. Il en résulte, comme de la plupart des transgressions aux principes conversationnels, de nombreux effets comiques.
III.4. Tropes communicationnels
III.4.1. Le récepteur extradiégétique
Au quotidien, nombre de ces accidents de communication – pensons au mensonge – peuvent passer à leur tour inaperçus des personnes qui les subissent; seul un tiers bien informé pourrait les déceler. Au théâtre, non seulement ce tiers est présent, mais tout est orchestré à son intention: c'est le lecteur/spectateur. Extradiégétique, il a l'avantage sur la plupart des personnages d'assister à l'intégralité du dialogue et de bénéficier en outre en exclusivité d'éventuels apartés, adresses directes ou autres indices. Communication détournée ou trope communicationnel: il y a trope communicationnel, chaque fois que l'énoncé n'est pas fait pour le destinataire, chaque fois qu'à celui qu'affiche l'énoncé s'ajoute un récepteur additionnel (Kerbrat-Orecchioni, 1984, cité par Ubersfeld, 1996, p. 86). Le dialogue dramatique est ainsi entièrement biaisé par la double énonciation, ou plus précisément par ce destinataire second mais au fond primordial.
III.4.2. Le récepteur intradiégétique
Semblable relation triangulaire, y compris l'éventuel infléchissement avoué de l'adresse vers le tiers, peut se manifester dans l'action représentée (comme dans la vie d'ailleurs), sans que deux niveaux de réalité ne soient impliqués. Ainsi lorsqu'un personnage feint de s'adresser à un second alors qu'il vise en définitive un troisième. Ce récepteur additionnel-là, (intra)diégétique, peut se dresser au vu et au su de tout le monde comme le fait le plus souvent le choeur antique, ou rester caché d'un des interlocuteurs au moins, que ce soit dans un placard de vaudeville, derrière quelque pilier de tragédie (Néron dans Britannicus de Racine, II. 6) ou sous une table de comédie, comme l'Orgon de Molière que son épouse Elmire, forcée de céder à Tartuffe, tente de faire intervenir par un discours à double adresse, grâce à l'impersonnalité du pronom relatif: Tant pis pour qui me force à cette violence (Tartuffe, IV. 5, je souligne).
Cette configuration permet aussi, avec l'aide du récit et de la citation, de ménager un interlocuteur sous couvert d'un destinataire de paille. Chez Molière encore, Sganarelle s'en sert pour dire sa pensée à Dom Juan sans oser l'affronter, de même qu'Alceste, à un poète qu'il trouve mauvais:
Mais un jour, à quelqu'un dont je tairai le nom Je disais, en voyant des vers de sa façon, Qu'il faut qu'un galant homme ait toujours grand empire Sur les démangeaisons qui nous prennnent d'écrire [...].
Le Misanthrope, I. 2
C'est d'une certaine manière redoubler la relation entre scène et salle que de prendre indirectement à partie un tel personnage qui, d'occuper dans la fiction la position du spectateur, reflète celui-ci tout en manifestant la supériorité – ou mieux, le surplomb (Vinaver, 1993) – dont il jouit. Raison pour laquelle l'écriture dramatique a souvent usé de ce ressort très révélateur: en littérature comme à la scène, le théâtre est fondamentalement un jeu d'adresses.
III. 5. Dénégation et interprétation
On l'aura compris, le dialogue dramatique n'est pas un dialogue... Entendons par là que, bien qu'il y renvoie, il diffère fondamentalement de l'incessant entretien des paroles humaines. Parce qu'il est inscrit dans une relation qui le dépasse, qu'il est organisé comme un tout de manière à générer des effets particuliers, qu'il prend par rapport à la conversation ordinaire des distances d'ordres divers dont quelques-unes viennent d'être mises en évidence.
Grâce à un processus de dénégation [La représentation théâtrale], le spectateur de théâtre ne prend pas la scène pour la réalité et tire plaisir de l'acte de représentation; le texte dramatique, dont le dispositif déstabilise toute signification littérale de la réplique, déclenche chez son lecteur un processus homologue qui l'engage à redoubler d'interprétation. Appréhender une pièce comme une conversation enregistrée dans la rue ou dans un salon reviendrait à attribuer aux personnages une autonomie, une épaisseur, voire une psychologie individuelles qu'ils ne sauraient posséder en tant qu'êtres de fiction; mais l'appréhender comme l'expression d'un auteur (Athalie comme un poème de Racine) négligerait le geste de délégation de la parole précisément choisi par celui-ci. Par ailleurs, puisque le discours dramatique se distingue par l'enchâssement d'une ou de plusieurs voix dans une autre qui détermine leur situation (ne fût-ce que celle d'êtres parlants), la lecture doit non seulement établir le contexte utile à la compréhension mais s'interroger sur le rapport qu'entretiennent ces différentes voix. Puisqu'il n'y a pas de sujet historique ou psychologique derrière ce que dit un personnage, c'est l'acte accompli par sa parole qu'il importe de dégager. Et ainsi de suite.
Ce travail d'interprétation demande bien entendu à être mené à l'échelle du texte entier, qui ne consiste pas en la simple addition de ses parties. S'y ajoute entre autres une propriété supplémentaire du dialogue dramatique: possédant pour sa part un début et une fin, il est construit de manière à former une totalité (saisissable d'un regard, disait Aristote). Et il répond à une stratégie globale de représentation des événements qui constituent l'action. [L'oeuvre dramatique] Cette unité de composition, aussi complexe qu'elle puisse être parfois, déterminera la lecture.
Enfin et surtout, la lecture du texte dramatique ne saurait ignorer le théâtre proprement dit – art du spectacle – et son histoire, d'un point de vue à la fois technique, socio-politique et esthétique. Composé le plus souvent selon les exigences théâtrales du moment ou contre elles, le texte procède de la scène autant qu'il y est destiné. Ne serait-ce que par sa distribution vocale spécifique, il recèle en particulier une dimension spatio-temporelle concrète et perceptible sur le plan visuel comme sur le plan auditif, quoique selon des proportions variables; lire le théâtre, c'est projeter un théâtre mental. Analogue à celui-ci mais hétérogène, la réalité scénique enrichit la problématique dramatique de nouveaux paramètres. Elle offre à l'interprétation du texte plus qu'un simple prolongement: un laboratoire, une contre-épreuve dialectique – une expérience sensible de la textualité, avec ses ellipses et ses silences. La confrontation relève toutefois d'une acception moderne de la dramaturgie, mettant l'accent sur la représentation, qui fera l'objet d'un autre cours [La représentation théâtrale].
Bibliographie
§ Apostolides (1991). Vox clamantis: l'espace de l'interlocution, Poétique, 87, septembre 1991.
§ Aristote. La Poétique, trad. et notes de R. Dupont-Roc et J. Lallot. Paris: Seuil, 1980.
§ Barthes (1963). Littérature et signification et Le théâtre de Baudelaire, Essais critiques. Paris: Seuil/Points, 1981.
§ D'Aubignac, Abbé F. H. (1657). La Pratique du théâtre. Paris: Champion, 1927.
§ Austin, J. L. (1962). How to do things with words. Oxford: Clarendon Press; Quand dire c'est faire. Paris: Seuil, 1970.
§ Corvin, M. (1995). Dictionnaire encyclopédique du Théâtre, 2 vol.. Paris: Bordas, 1995.
§ Dort, B. (1986). L'Etat d'esprit dramaturgique, in Théâtre/Public, n°67 – « Dramaturgie », janv.-fév. 1986.
§ Genette, G. (1972). Figures III. Paris: Seuil.
§ Genette, G. (1983). Nouveau discours du récit. Paris: Seuil.
§ Grice, H. P. (1975). Logique et conversation, Communications, n°30 – « La Conversation ». Paris, Seuil, 1979, pp.57-72.
§ Grotowski, J. (1969). Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L'Age d'Homme.
§ Helbo, A., JOHANSEN, J. D., PAVIS, P., UBERSFELD, A. (1987). Théâtre, Modes d'approche. Bruxelles: Labor (Méridien/Klincksieck).
§ Kebrat-Orecchioni, C. (1980). L'Enonciation. De la subjectivité dans le langage. Paris: Colin.
§ Jakobson, R. (1963). Essais de linguistique générale, II. Paris: Minuit.
§ Larthomas (1972). Le langage dramatique. Paris: PUF, 1980.
§ Pavis, P. (1996). Dictionnaire du théâtre, 3e éd.. Paris: Dunod.
§ Platon. La République, trad. Emile Chambry, in Oeuvres complètes, t. VI. Paris: Ed. Belles-Lettres, 1932.
§ Ryngaert, J.-P. (1991). Introduction à l'analyse du théâtre. Paris: Dunod.
§ Sarrazac, J.-P. (dir.) (2001). Etudes théâtrales,, n°22 – « Poétique du drame moderne et contemporain. Lexique d'une recherche », 2001.
§ Scherer, J. (1950). La Dramaturgie classique en France. Paris: Nizet, 1983.
§ Szondi, P. (1983). Théorie du drame moderne. Lausanne: L'Age d'homme.
§ Ubersfeld, A. (1977). Lire le théâtre I. Paris: Belin, 1996.
§ Ubersfeld, A. (1996). Lire le théâtre III. Paris: Belin.
§ Ubersfeld, A. (1980). Notes sur la dénégation théâtrale, La Relation théâtrale. Lille: PUL.
§ Vinaver, M. (1993). Ecritures dramatiques. Arles: Actes Sud.
Edition: Ambroise Barras, 2003-2004 //


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BELLONE EN CHANTIERVisite guidée
Au centre-ville à Bruxelles, près de la Bourse : la rue de Flandre. Entre la place Sainte-Catherine et la porte de Flandre, le n° 46. Nous n’arrêtons pas de l’annoncer depuis quelques mois : « Au n° 46 de la rue de Flandre s’ouvriront les portes d’un Café-Bellone. » C’est pourquoi, l’entrée et le couloir seront en chantier jusqu’au printemps 2005. Mais dès que les premiers bourgeons sortiront, la petite salle avec ses quatre/cinq tables regardera la rue en même temps que le foyer et la bibliothèque des arts de la scène. L’estaminet des arts et de la parole sera votre café de détente et d’échanges, votre espace pour débattre du mouvement des arts et du monde… Et pour ne rien perdre de l’état du monde et des arts, dans ce petit café, vous aurez à votre disposition des journaux, revues, magazines, annonces et autres livres… À consulter ou à lire calmement avec un thé ou une autre spécialité maison. Car si l’âme et l’esprit sont souvent à l’honneur dans la maison du spectacle, le corps n’y est jamais en reste : d’ailleurs une belle cuisine s’aménagera juste derrière le bar… Au-dessus du café, une autre salle sera ouverte à tous, et aussi aux conférences de presse, aux rencontres privées, aux débats à huis clos…
Le 46 rue de Flandre, une bellone EN CHANTIER, donc.
Jusqu’au printemps 2005 (calendrier précis à définir), gravats, échafaudages, échelles de corde et de métal, truelles et pinceaux, pots de peinture et trous dans les murs… risquent d’accueillir les amoureux de belles façades qui poussent la porte pour foncer, tête la première, dans le buste de la Bellone. Et la jolie déesse de la guerre incrustée dans la façade bâtie sur une parcelle de l’ancien couvent des Sœurs blanches de la Rose de Jéricho de 1697 à 1708 attire d’autant plus qu’on peut l’admirer, été comme hiver, dans une cour recouverte depuis 1995. Protégé des intempéries, on peut détailler le travail du sculpteur architecte, Jean Cosyn, à qui la Ville avait déjà confié, en 1699, la restauration de la Maison du Roi de la Grand-Place.
Gravats ou non (sauf pendant les quinze jours des gros travaux), tous les amateurs viendront visiter cette maison qui a vu se succéder nonnes, gymnastes, policiers, poupons et costumes de l’Ommegang, avant de devenir, en 1980, une maison, de l’entrée à la cour et de la cave au grenier, entièrement consacrée aux arts de la scène, pas un coin, pas un recoin qui n’abrite une association ou une activité liée aux arts de la scène…
Dans le couloir, au rez-de-chaussée…
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Les Midis de la PoésieDepuis plus de cinquante ans, à l’auditorium du Musée d’Art ancien (3 rue de la Régence à 1000 Bruxelles), les Midis de la Poésie organisent des conférences et récitals littéraires qui réunissent de 250 à 650 auditeurs, chaque mardi midi.
Pour d’autres renseignements Tél./fax : +32 (0)2 513 88 26 www.cinemaniacs.be/midis.poesie
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Les BrigittinesHôte de la maison du spectacle-la bellone depuis août 1997, l’asbl Bellone Brigittines quittera dans quelques mois ses actuels bureaux pour occuper alors les espaces qui lui sont destinés dans Brigittines II, l’extension de la Chapelle des Brigittines où cette association atypique continuera ses activités de soutient à la fois du théâtre, de la danse, de la musique et des arts plastiques, en mettant l’accent sur la recherche de formes nouvelles, en développant aussi, entre les arts, d’étranges rencontres.
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une liste d'information sur l'histoire du théâtre:dramatica (site fabula.org)

retour remue.net
les auteurs de théâtre ont leur site
hommage au compagnon disparu: Bernard-Marie Koltès
l'univers Valère Novarina via la page remue.net
autre dossier : l'énigme Olivier Py
Jacques Rebotier, Vo-Que et son théâtre de questions, plus pas mal d'autres choses
Mohamed Rouabhi et sa compagnie Les Acharnés
Enzo Cormann, son théâtre, mais aussi ses râleries et autres gazettes
Serge Valletti, enfant de Marseille, compagnon de route de Daniel Mesguich, un grand du verbe et du rire
François Berreur, page personnelle, l'héritage de Jean-Luc Lagarce
écritures d'aujourd'hui : une série de textes et analyses, ressources, intertventions, sur remue.net :dossiers auteurs, théorie, dramaturgie...
à découvrir: Joris Lacoste (site fermé?) - William Pellier -
et je propose aussi mes pages personnelles François Bon, théâtre
éditeurs de théâtre
il y a du théâtre chez Minuit (voir nos pages Koltès, Beckett, Séréna...), chez POL (Novarina, Cadiot), et pour découvrir quelques éditeurs spécifiquement théâtre, on recommande
Les Solitaires Intempestifs - L'Arche éditeur - Actes Sud Papiers - les éditions Théâtrales
à signaler : une excellente librairie théâtre (mais TOUT le théâtre) sur les Champs-Élysées, librairie du Rond-Point
les théâtres ont leur site ils s'y mettent, mais lentement! non pas une liste exhaustive, mais une sélection des lieux de théâtre ouverts à la création contemporaine, des lieux attentifs à l'écriture contemporaine (eh non, ça ne les concerne pas tous, malheureusement...), donc dans un ordre de préférences très subjectives! FB
le Théâtre de La Colline à Paris (dir Alain Françon) accès aux quatre derniers numéros de LEXI/textes, une quarantaine de textes d'auteurs et metteurs en scène, pas des moindres, plus vidéos, lettre d'info, un véritable travail de ressources interactives, la Colline première...
le théâtre du Rond-Point à Paris (dir Jean-Michel Ribes), l'écriture mise en avant du théâtre
le théâtre de l'Est Parisien (dir Catherine Anne), expérimentations et recheche dans la proximité
le théâtre de la Manufacture, Centre Dramatique National de Nancy (dir Charles Tordjman) et son festival Passages, théâtres de l'est
le Théâtre National de Dijon Bourgogne, dir Robert Cantarella (auteur associé: Philippe Minyana), son festival Frictions, et les pages H Manifestes de Franck Laroze
le Centre dramatique national d'Orléans (dir Olivier Py, le site inclut ses pages personnelles).
le Théâtre National de Strasbourg (dir Stéphane Braunschweig) et son école.
Théâtre Ouvert actu, historique, saison, Tapuscrits, la fabrique de Lucien et Micheline Attoun...
la Villa Gillet à Lyon (dir Guy Walter), unité de recherches et pas théâtre, elle en remontre à pas mal...
la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon (Centre national d'Écritures du Spectacle)
La Comédie Française (la troupe, la saison, l'historique, et nouveauté : les archives de sa bibliothèque) – la vieille maison, dirigée désormais par Marcel Bozonnet, s'ouvre au contemporain (Marie NDiaye, François Bon)
à Saint-Brieuc le théâtre de la Folle Pensée, et même rolandfichet.com (au cas où ça vous ferait penser à quelqu'un...)
les Ateliers à Lyon - comme dans l'édition, ce n'est pas les petits qui sont les moins actifs et les moins innovants
le théâtre de la Commune à Aubervilliers
Odéon - théâtre de l'Europe - voir en particulier leurs biographies et entretiens
interactivité très originale sur 2040, chantier de création théâtrale
La Comédie de Reims
le Nouveau Théâtre d'Angers (dir C Yersin) - créations, concerts....
vie professionnelle
le festival d'Avignon (programme 2004)
écrivains associés du théâtre - 250 auteurs rassemblés en association:
SACD - infos, vie professionnelle, concours, aides, droits, brèves, etc... à visiter le plus souvent possible...
l'AFAA - agence française d'action artistique
le Centre national du théâtre - documentation, information, recherches
le Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique
la Fédération internationale de recherche théâtrale (bourses pour jeunes chercheurs)
revues, histoire ou théorie du théâtre, autres sites
Erwan Tanguy dans son Sprechgesang présente des dossiers sur La Fonderie de François Tanguy ou l'Entresort de Madeleine Louarn
Passion Théâtre critique, échanges, news - le plus interactif
la revue Mouvement - un site Flash terriblement dissuasif, mais la revue est la meilleure du moment
Iliade Spectacles : accès agence photo Enguerrand et revue Avant-Scène.
la revue Théâtre s en Bretagne est un véritable annuaire du théâtre en ouest
aneth : "nouvelles écritures théâtrales", dossiers en ligne
Théâtrales (université du Québec)- le plus beau site actuel sur l'histoire du théâtre et les études théâtrales, à l'Université du Québec - Montreal : une bonne longueur d'avance sur chez nous...
le département théâtre de l'Université Paris VIII
le Centre d'études théâtrales de Louvain (Belgique)
le laboratoire de recherche Arts du Spectacle du CNRS a commencé la mise en ligne de ses magnifiques archives : site à suivre obligatoirement
les sommaires d'Alternatives théâtrales, de UBU - scènes d'Europe, de Frictions sont accessibles via l'incontournabletheatre-contemporain.net / page revues
dossiers, hommages
Peter Brook : Does nothing come from nothing? une conférence essentielleceux de mon âge n'oublient pas ce qu'ils doivent à sa visite chez Gurdjieff : Peter Brook and traditionnal thoughtun dossier complet de liens en anglais sur Peter Brook et Shakespearephotos et textes : Peter Brook crée Hamlet 2000
Tadeusz Kantor (Maria Stangret deposit) ainsi queoeuvres plastiques de Kantor en français : une "promenade cracovienne" vers Kantor

Societas Rafaëllo Sanziolectures et littérature sur plateau, pour découvrir l'étonnant travail de Romeo Castelluci, visite obligatoire, passez par Sprechgesang d'Erwan Tanguymais aussi : Genesi, des Castellucci, au CDN OrléansPélerins de la matière, le livre des Castellucci aux Solitaires Intempestifsentretien Romeo Castellucci / Bruno Tackels sur Sprechgesangentretien avec Romeo Castellucci sur fluctuat.net

et encore
le travail de Jean-François Peyret sur Histoire naturelle de l'esprit...

mardi, août 15, 2006

Auteurs de théâtre...Bernard-Marie Koltès, Howard Barker et quelques autres...


...quelques notes, un début, d'autres suivront ...

En parlant d'écriture dramatique nous évoquons évidemment le travail de la langue, les liens sociaux et politques dans la Cité, mais aussi le cynisme un peu niais des producteurs, la répétition hallucinée des mêmes programmations d'une saison à l'autre dans la plupart des théâtres et centres culturels de Belgique de France et de Navarre, les discussions sans fin, les colloques sur le rôle et la place de l'auteur

Souvent, ce sont des occasions (des opportunités?) de production de documents à propos des auteurs et non, des textes d'auteurs...que personne ne lira, bien entendu.

Bref, ad libitum, la périphérie se nourrit sur la bête et pleurniche à l'unisson de la socio-culture...

Mouchoirs!

Daniel Simon

Ecrire du théâtre (2003)

de Erwan Tanguy

Ecrire du théâtre, c’est d’abord écrire.
Comme n’importe quoi d’autre.
A chaque écrivain de trouver ses contraintes, de définir ses exigences.
Certains écrivent du théâtre sans y aller, sans trop connaître.
D’autres s’imposent comme nécessité le fait de côtoyer le plateau.
Il n’y a que des expériences personnelles, je dirais même isolées.
Je choisis les deux positions, je revendique d’être dans et hors du théâtre pour écrire.
Que ce soit ou non du théâtre.
Quand le théâtre apparaît au fil des mots, il me devient nécessaire d’être en contact avec des comédiens (corps-voix-espaces-adresse). Et là encore, je demeure dans et hors du théâtre. J’écris dans un théâtre intérieur, hors des espaces ainsi nommés, et dans ces espaces, hors de mon théâtre intérieur, ou du moins le violant.
Ce qui se dit ensuite est sans importance.
Comment j’apparais/disparais dans mes textes ?
Est-ce que l’écriture est une expérience intime ?
J’ai envie de dire : cela ne regarde que moi. J’ai envie de ne pas y répondre.
Parce que cela ne change rien à mon travail de le taire ou non.
Parce que cela ne participe pas de la rencontre que je désire entre le texte, les comédiens, les spectateurs, les lecteurs et les metteurs en scène.
Une partie de l’expérience et de la rencontre ne peut être partagées car elle ne m’appartient pas.
Justement écrire est un acte de dessaisi. Lorsqu’un metteur en scène monte un de mes textes, je suis pour une grande part absent, même si j’assiste à toutes les répétitions, même si j’interviens sur le texte, pour l’éclairer, le modifier.
Là, mon travail est ailleurs.
Ces temps pourtant me sont nécessaires, utiles.
J’écoute, j’écris, je sommeille.
Pour y être totalement, dans le théâtre, il me faudrait mettre en scène, c’est un autre travail.
Et encore, y serais-je totalement ?
Ecrire, une expérience dont je n’ai pas le souvenir.
Moments de concentration vif, épuisant, qui ne me laissent qu’un grand vide.
Je ne saurai dire si je démultiplie ma parole pour animer des ombres ; si, comme certains textes philosophiques, j’instaure un dialogue avec l’autre, contradicteur, pour mettre en péril et en valeur une argumentation ; ou si je suis saisi par des voix qui parleraient en moi.
Peut-être est-ce tout à la fois ?
Ou beaucoup plus simple.
Et, pour moi, ne pas répondre à ces questions, c’est aussi une lutte contre l’idée romantique de l’écrivain, de l’artiste, qui aujourd’hui encore pousse les politiques à nous voir miséreux, profiteurs, saltimbanques.
Ne nous laissons pas nous mettre dans la rubrique surannée et si confortable pour eux des « poètes maudits », qu’ils aiment tant une fois que l’œuvre est posthume.
Dans un article, Salman Rushdie posait la question d’être dans ou hors de la baleine – allusion au Jonas. Il parlait de la position de l’artiste.
Etre dans la baleine, c’est accepter l’étiquette si confortable déjà nommée.
Pour être vivants et que nos voix s’expriment dans la puissance du théâtre, il nous faut être hors de la baleine.
Arrêter de fuir, car la fuite est immobile, mais proposer un véritable voyage dans les mots, dans les corps et dans l’espace dit clôt du théâtre.


La structure métaphorique

la métaphore structurelle

par Alexandros Efklidis


L’utilisation des métaphores provenant des autres arts fut pour le théâtre de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle un motif fréquent.
Le théâtre s’est tourné vers la littérature, la musique, la peinture non pas cette fois pour en faire la synthèse, mais pour en tirer des leçons qui l’aideraient à sa propre volonté d’autonomie.
Il y a ici un paradoxe : voulant s’émanciper et d’acquérir une autonomie, c’est aux autres arts qu’il l’a cherché.
Effectivement on a utilisé au théâtre une pensée métaphorique, au sens presque littérale du mot : on a transporté la question de la maladie du théâtre du champ du théâtre réel à un autre champ imaginaire, celui d’un théâtre exemplaire, fait par les qualités des autres arts.
Mais quelle était cette maladie du théâtre ?
Ce qu’on peut dire est que la pensée métaphorique, qu’on relie à la découverte, au milieu du 19ème siècle, de l’état maladif du théâtre, coïncide avec l’avènement de la mise en scène.
Mise en scène, maladie et pensée métaphorique apparaissent au même moment, ce qui nous fait soupçonner qu’ils sont les facettes différentes d’une question commune.
On s’est tourné vers les autres arts pour trouver un remède à la maladie du théâtre ; le personnage qui s’est chargé de faire le lien était le metteur en scène.
Les trois mots qui composent l’énoncé du dossier de L’Insensé de ce mois (écrire, composer, structurer) incluent l’ essentiel de la pensée métaphorique dont il est question ici. Effectivement, on peut dire que écrire le théâtre, en faire une composition musicale et le structurer comme une œuvre plastique ont été les trois processus métaphoriques les plus importants.

Dans tous les cas il s’agit d’une quête des nouvelles bases, des nouvelles structures pour l’art du théâtre ; car ce qu’on a réalisé était que le théâtre n’avait pas le statut des autres arts à cause justement du manque de ces structures de base : un artiste, des moyens et des techniques autonomes.

Là il se trouve peut-être la plus grande erreur du théâtre : au moment où les autres arts ont trouvé à une conception nouvelle de l’art (caractérisée par l’unité, l’individualité et l’autonomie) la réponse au vide que le passage de l’art en tant qu’affaire de la communauté à l’art en tant qu’affaire privée a crée, le théâtre (art de la communauté par excellence) n’a pu que se tourner vers les autres arts et emprunter leur moyens et structures de base.
Ainsi, le théâtre fut dans cette période de grande vitalité qui fut la fin du 19ème et le début du 20ème siècle un art par métaphore ; la volonté des grands visionnaires du théâtre de refonder un art nouveau a été fondée sur des expérimentation et des visions qui n’étaient que des métaphores empruntées aux autres arts.

Si cela est vrai l’état idéal du théâtre serait de ressembler à un ou plusieurs de ses arts. On ne peut pas expliquer autrement les visions comme celle de Mallarmé pour un théâtre qui aurait les qualité du livre (idée très chère à l’avant-garde théâtrale).

Ou les essais de Meyerhold de créer des partitions des spectacles, en correspondance directe avec la composition musicale.

Ou sa volonté de trouver une grammaire du mouvement en créant la biomécanique.

Ou sa croyance au structuralisme de la peinture de son époque et à la dynamique des structures apparentes.

Mais ce qui manquait au théâtre c’était une nouvelle raison pour exister et non pas des nouvelles techniques.

On peut désigner cela par le mot structure. Ecrire le théâtre, composer du théâtre, étaient des processus qui ont ouvert des nouvelles voies, alors insoupçonnées.

Mais ces voies ont été creusées et on est aujourd’hui presque au même point qu’alors, c’est à dire sans une structure nouvelle propre au théâtre.
On assiste aujourd’hui à cette même volonté d’emprunter des autres arts, de créer des hybrides (cette fois ce n’est pas seulement le théâtre qui se trouve dans cette nécessité, mais l’ensemble des arts et surtout les arts performatifs).

On est incapables aujourd’hui de parler de structure. Le monde est fragmenté par notre savoir fragmenté.
Cependant, une structure existe, au théâtre et ailleurs. Je pense aux photographies de l’univers lesquelles nous ont permis de concevoir autrement la question : on y reconnaît une structure dans les formations cosmiques (conditionnée bien évidemment par la nature de nôtres sensations d’observateur – spectateur) .

Cette structure est une concentration au milieu d’une dilution infinie : une structure aléatoire mais existante se laisse entrevoir.
Et elle est de caractère événementiel ; car il s’agit d’un événement au milieu d’une condition où tout événement est impossible.

Les structures cosmiques dont nous faisons partie (au moins perçues d’un point de vue purement esthétique) sont des événements matériaux inclus dans le grand vide immatériel (toujours esthétiquement).

L’événement cosmique constitue donc la structure de cet univers : une concentration qui pénètre au milieu de la dilution, sans raison, mais qui constitue par elle-même un événement. Un événement quasi esthétique.

Dans l’art ne serait pas une structure semblable qui conditionne ses fondements ?
Tout comme ces formations magnifiques de l’univers, l’art est une concentration au milieu de cette dilution qui est la vie, un événement, du moment où tout en en faisant partie, il se distingue aux yeux du spectateur qui est par ses sensations ou ses inventions capable de l’apercevoir.
Et pour retourner au théâtre : la recherche dans le domaine des autres arts d'une vérité nouvelle pour le théâtre fut un processus dont les fruits ont été impressionnants mais assez vains. Il manquait et manque encore la recherche d'une structure propre au théâtre ou, au moins, une recherche sur des parties de cette structure.

De ce point de vue, Stanislavski, ce réformateur vieux et conservateur, fut le plus révolutionnaire de tous, mais loin d'être révolutionnaire : il a trouvé dans l'acteur un vrai moyen du théâtre, une véritable partie de sa structure, où il essaya d'accéder par son biais.

Cette recherche, cependant, ne représente qu'un départ pour la recherche de la structure théâtrale réelle (ou la structure d'un théâtre réel) ; mais, même si cette recherche sur l'acteur a été reprise plusieurs fois, on est toujours au début et, je pense, on va y rester pour longtemps encore, comme il nous manque une chose pour commencer la recherche de la structure réelle d'un théâtre réel : une raison réelle.

Alexandros Efklidis, Paris,

aefklidis@hotmail.com

Les Editions de Minuit


Photo Jean-Claude Legros, Panama

ENTRETIEN DE

Bernard-Marie Koltès

AVEC JEAN-PIERRE HAN 1

La première fois que je suis allé au théâtre, c’était très tard, j’avais vingt-deux ans.
J’ai vu une pièce qui m’a beaucoup ému, une pièce que j’ai oubliée mais avec une grande actrice, Maria Casarès.

Elle m’avait beaucoup impressionné, et tout de suite je me suis mis à écrire. J’ai commencé par une pièce d’après Enfance de Gorki et je l’ai montée avec des copains.

C’était à Strasbourg ; Hubert Gignoux l’a vue 2, il m’a proposé d’entrer au TNS 3.
Là, j’ai continué à écrire des pièces et à les monter avec des élèves comédiens 4.
J’ai continué comme cela pendant huit ans, sans qu’aucune soit jouée dans un vrai théâtre.

La première qu’on a montée professionnellement, Yves Ferry et moi, c’était La nuit juste avant les forêts à Avignon en 1977.
Ça avait mis dix ans, j’avais écrit une dizaine de pièces.
*
1. Ce texte a été revu par Bernard-Marie Koltès.
2. Hubert Gignoux n’était en réalité pas allé voir la pièce.
3. Bernard-Marie Koltès avait sollicité son entrée à l’école du TNS dès 1969.
4. Les premières pièces avaient été montées avec des amis qui n’avaient pour la plupart jamais joué et qui formèrent le Théâtre du Quai à Strasbourg. C’est plus tard que des élèves comédiens entrèrent dans la troupe.
9. Il y a une coupure très nette entre La nuit juste avant les forêts et la pièce qui précède. Il y a d’abord beaucoup de temps, trois ans ; trois ans pendant lesquels je n’ai rien fait et où je pensais ne plus jamais écrire 5. Et quand je me suis mis à écrire, c’était complètement différent, c’était un autre travail. Les anciennes pièces, je ne les aime plus, je n’ai plus envie de les voir monter. J’avais l’impression d’écrire du théâtre d’avant-garde ; en fait, elles étaient surtout informelles, très élémentaires. Plus ça va, plus j’ai envie d’écrire des pièces dont la forme soit de plus en plus rigoureuse, précise.
Avant, je croyais que notre métier, c’était d’inventer des choses ; maintenant, je crois que c’est de bien les raconter. Une réalité aussi complète, parfaite et cohérente que celle que l’on découvre parfois au hasard des voyages ou de l’existence, aucune imagination ne peut l’inventer. Je n’ai plus le goût d’inventer des lieux abstraits, des situations abstraites. J’ai le sentiment qu’écrire pour le théâtre, « fabriquer du langage », c’est un travail manuel, un métier où la matière est la plus forte, où la matière ne se plie à ce que l’on veut que lorsque l’on devine de quoi elle est faite, comment elle exige d’être maniée. L’imagi- nation, l’intuition, ne servent qu’à bien comprendre ce que l’on veut raconter et ce dont on dispose pour le faire. Après, ce ne sont plus que des contraintes (écrire dans la forme la plus simple, la plus compréhensible, c’est-à-dire la plus conforme à notre époque), des abandons et des frustrations (renoncer à tel détail qui tient à cœur au profit de telle ligne plus importante), de la patience
5. Il y a en fait moins de deux années, au cours desquelles il continue à écrire, en particulier La
fuite à cheval très loin dans la ville. La période où il pensait " ne plus jamais écrire " a duré moins d’un an.
10 (si je mets deux ans pour écrire une pièce, je ne crois pas que la seule raison en soit la paresse).
*
De quoi parle Combat de nègre et de chiens ?

Je ne sais plus vraiment, car j’ai du mal à mesurer aujourd’hui la distance entre ce que je voulais écrire et ce qui est écrit – et je le saurai peut-être à nouveau lorsque les représentations commenceront.
Elle ne parle pas, en tous les cas, de l’Afrique et des Noirs – je ne suis pas un auteur africain –, elle ne raconte ni le néocolonialisme ni la question raciale.
Elle n’émet certainement aucun avis.
Elle parle simplement d’un lieu du monde.
On rencontre parfois des lieux qui sont, je ne dis pas des repro- ductions du monde entier, mais des sortes de métaphores de la vie ou d’un aspect de la vie, ou de quelque chose qui me paraît grave et évident, comme chez Conrad par exemple, les rivières qui remontent dans la jungle... J’avais été pendant un mois en Afrique sur un chantier de travaux publics
6, voir des amis. Imaginez, en pleine brousse, une petite cité de cinq, six maisons, entourée de barbelés, avec des miradors ; et, à l’extérieur, avec des gardiens noirs, armés, tout autour. C’était peu de temps après la guerre du Biafra, et des bandes de pillards sillon- naient la région. Les gardes, la nuit, pour ne pas s’endor- mir, s’appelaient avec des bruits très bizarres qu’ils fai- saient avec la gorge... et ça tournait tout le temps. C’est ça

6. Chantier Dumez au Nigeria.

© Elsa Ruiz
Bernard-Marie Koltès est né en 1948. Il est mort en 1989.

Il a fait paraître aux Editions de Minuit :

Les amertumes
(1970). 1998. 64 p.
L'héritage
(1972). 1998. 80 p.
La fuite à cheval très loin dans la ville
(1976). 1984. 156 p
Sallinger
(1977). 1995. 128 p.
La nuit juste avant les forêts
(1977). 1988. 64 p.
Combat de nègre et de chien
(1979). 1983-1990. 128 p
Quai ouest
(1983). 1985. 112 p.
Dans la solitude des champs de coton
(1985). 1987. 64 p.
Prologue suivi de deux nouvelles et de courts textes (Out, Home)
(1986). 1991. 128 p.
Le retour au désert
1988. 98 p.
Roberto Zucco suivi de Tabata, augmentée de Coco
(1988-1986). 2001. 128 p.
Une part de ma vie.
Entretiens (1983-1989)
1999.160 p.
Procès ivre
(1971). 2001. 80 p.
La marche
(1970) 2003. 56 p.

Présentation de
Le Jour des meurtres dans l'histoire d'Hamlet

Le Jour des meurtres dans l'histoire d'Hamlet est une adaptation. Bernard-Marie Koltès avait lu Shakespeare à partir de 1969 dans l'édition d'Oxford (1965), puis dans plusieurs traductions, en particulier celle de François-Victor Hugo (Editions Rencontre, 1969) qu'il avait lue dans son intégralité.
Mais en 1974, pour écrire ce "condensé" de l'œuvre originale, il choisit la traduction d'Yves Bonnefoy, publiée au Mercure de France (1962, 1988) et également dans la collection "Folio" chez Gallimard. Les emprunts à cette traduction sont fragmentaires : cependant, l'auteur a utilisé ce texte comme principe de son travail. On les retrouvera disséminés dans toute l'œuvre.

...vrai ou faux?

Y a-t-il plus d'auteurs ou plus d'Institutions fabriquant des "auteurs momentanés et périssables?"
DS.


«Tous les espoirs sont donc permis», écrivions-nous il y a cinq ans, en conclusion.

Ce «foisonnement» que nous décrivions en 1994, annonçant «quand il ne l’amorce pas ici et là» un «retour» au texte, n’a fait que s’amplifier.

À l’approche du nouveau millénaire, l’auteur est à la fête.

Citons quelques exemples emblématiques:

• la belle façon dont se sont développés Les Solitaires Intempestifs, la plus jeune des maisons d’édition consacrée essentiellement aux textes de théâtre d’auteurs contemporains - elle fut créée par Jean-Luc Lagarce (mort du sida), lui-même auteur mais aussi metteur en scène et parfois acteur;
• le succès grandissant de Mousson d’été, un festival animé par l’acteur-metteur en scène Michel Dydim, qui, chaque année fin août, transforme l’abbaye des Prémontrées à Pont-à-Mousson en forum et festival des écritures contemporaines;
• et récemment, la publication par la revue belge en langue française Alternatives théâtrales d’un numéro titré: «Écrire le théâtre aujourd’hui».
Le théâtre ne manque pas de bons auteurs contemporains. On voit apparaître des écritures fortes et décapantes comme celle de Jacques Rebottier. D’autres qui pointent le nez comme celles de Suzanne Joubert, Fanny Mentré, Gérard Watkins ou Gilbert Milin, des écrivains qui goûtent au théâtre comme François Bon ou Jacques Serena et qui y reviennent.
Mais pour un Gabily, un Lagarce, un Koltès ou un Novarina, beaucoup de plumitifs, d’auteurs bientôt oubliables ou de comètes.
Il en a toujours été ainsi. Le metteur en scène Claude Régy, depuis un demi-siècle, n’a jamais cessé d’être attentif aux nouvelles écritures (Marguerite Duras et Nathalie Sarraute naguère, puis l’Allemand Botho Strauss, l’Anglais Gregory Motton, aujourd’hui un auteur de l’Europe du Nord...).
Sa rigueur, son éthique, son parcours, son incandescence scénique et ses mots cinglants ont fait de lui, pour toutes les nouvelles générations, un modèle de vérité théâtrale, une référence.
Il y a quelques étés, lors d’une réunion d’«auteurs» à la chartreuse de VŠlleneuve-lès-Avignon, Régy mit justement les points sur quelques i et hics: «Nous vivons une époque glauque soumise à des soubresauts médiatiques qui engendrent des engouements hâtifs alors qu’il faudrait prendre le temps de l’exigence.
Écrire, c’est d’abord inventer une langue.
Il ne faut pas se lamenter sur la pauvreté de l’époque.
Simplement, elle ne porte pas plus de vrais écrivains que la précédente.
Ils sont très peu par siècle.
Tous les efforts consentis au développement de l’écriture donnent une fausse exigence, de fausses écritures.
Une masse grouillante entre nullité et médiocrité passable.
Elle a toujours existé, cette masse, de tout temps, également inutile, sans subvention, sans résidence ou sans mise en espace.
Les remplisseurs de papiers produisent des imitations.
La copie des schémas existants facilite la digestion, ne rencontre pas de heurts. Le faux circule bien. Très peu d’écrivains sont des inventeurs.
Très peu renouvellent une appréhension de l’être au monde.
Très peu créent une matière à plusieurs étapes de significations.»
Il ne suffit pas que les auteurs aient une revue - c’est le cas avec les Cahiers de Prospéro - pour que naissent des chefs-d’œuvre!
On y a vu aussi œuvrer les impasses d’un corporatisme d’auteurs véhiculant une vision du théâtre replié sur lui-même. Au moment où, dans un rejet de cette image d’un monde clos, émergeaient puis éclataient le théâtre de rue et le nouveau cirque. Il y a là, dans ces formes ouvertes, d’autres poètes de la scène, des poètes sans mots, comme Jean-Luc Courcoult, l’âme de Royal de Luxe, ou Bartabas, le maestro du cirque Zingaro, ou encore le solitaire Le Guillerm. On est loin là du théâtre de texte, mais justement le théâtre de rue et le nouveau cirque, devenus des phénomènes (où il y a à prendre et à laisser), n’ont fait que fortifier l’identité du texte en s’en éloignant.
Et d’ailleurs, aujourd’hui, dans un mouvement de balancier habituel à l’histoire des hommes et du théâtre, on voit des compagnies de théâtre de rue, parmi les meilleures, se tourner vers cette montagne incontournable qu’est le texte.
Dans les années cinquante, c’est dans les petites salles privées de la rive gauche que l’on découvre des auteurs d’avant-garde et futurs classiques.
La plupart de ces salles ont aujourd’hui disparu.
Paris et sa banlieue et les grandes villes de France se sont, entre-temps, dotés de théâtres subventionnés tandis que le théâtre privé parisien perdait sa folie des années ayant suivi la Libération pour apprendre les lois de rentabilité de l’entreprise.
Cependant, la plupart des nouveaux auteurs des années quatre-vingt-dix, et en tout cas les meilleurs, n’auraient jamais pu voir leurs pièces créées dans le théâtre privé parisien, lequel, sauf exceptions, se cantonne au pis dans le néoboulevard, au mieux dans les dialogues feutrés d’un théâtre qu’écrivent les enfants sages, poseurs ou calculateurs de Jean Anouilh (Éric-Emmanuel Schmitt, Jean-Marie Besset, Yasmina Reza).
Le théâtre privé ne prend plus guère de risques.
Mais qui en prend?
La plupart des directeurs de théâtre, de festival, les sponsors, brefs les bailleurs de fonds restent frileux devant l’écriture contemporaine, craignant d’effaroucher le public, les élus (la déconcentration des crédits en province ne favorise pas non plus l’audace).
On préfère jouer le ticket, souvent agnant, d’un jeune metteur en scène en vogue montant un bon vieux classique.
On préfère des produits manufacturés et estampillés bon pour tourner que des productions d’œuvres inattendues.
Une aventure comme celle du Théâtre Ouvert - véritable carrefour et banc d’essai des nouvelles écritures - est née en 1971 d’un vide, d’un manque, d’un rôle non tenu par les salles subventionnées, qui campaient, par paresse plus que par intime nécessité, dans un répertoire classique, des Grecs à Tchekhov, au public plus assuré.
Si l’aventure du Théâtre Ouvert, soutenue par VŠlar juste avant sa mort, semble parfois s’essouffler avec le temps, c’est parce que le relais a été pris, par des auteurs eux-mêmes, par quelques institutions et des manifestations comme Mousson d’été, mais aussi parce qu’il existe une meilleure circulation des œuvres et des auteurs en Europe.
Et au-delà. Depuis peu, l’arrivée de gens de théâtre moins complexés à la tête de quelques fortes institutions - Alain Françon au Théâtre de la Colline, Stanislas Nordey au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, Éric VŠgner au théâtre de Lorient, Olivier Py à Orléans, etc. - ouvre en grand les fenêtres sur l’écriture contemporaine, ce creuset de solitaires intempestifs pour reprendre le titre de Jean-Luc Lagarce qui, avant d’être celui de sa maison d’édition, avait été celui d’un de ses spectacles.
Cet auteur fut également un metteur en scène qui sut réunir autour de lui une troupe d’acteurs et de collaborateurs complices.
Qui sut se frayer un parcours original, à la frange des institutions ou en rusant avec elles, dans une marginalité subie autant qu’aimée, et surtout active, fomentant des réseaux de solidarité dont sa maison d’édition fut un bras séculier.
On retrouve un parcours et une inscription semblables, bien que l’écriture soit tout autre, chez Didier-Georges Gabily (disparu lui aussi), auteur à souffle, cofondateur du groupe T’chang et metteur en scène.
L’un et l’autre furent des auteurs-hommes-orchestres du théâtre, des auteurs solitaires et des hommes de théâtre intempestifs, des auteurs solidaires aussi et des membres de ce phalanstère informel que l’un et l’autre surent réunir et qui ne se résume pas au mot de troupe.
On pourrait de même parler d’Olivier Py.
Ou citer également d’autres exemples probants de cette inscription, même si le texte reste là souvent dans l’infra, ceux de la Fonderie du Mans autour de François Tanguy, du Théâtre du Radeau et de leurs proches comme la Volière Dromesko, tous vivant aujourd’hui la belle aventure du «Campement».
Des aventures qui ont commencé loin de Paris et de ses plans de carrière, et ont continué de s’inscrire dans ce beau mot de province.
Trois aventures humaines autant que théâtrales où l’exigence (vis-à-vis de soi) passe avant la reconnaissance.
Dans une époque de computers et de virtualité, le théâtre redevient un lien et un lieu vivant, un moment communautaire. Où les acteurs paient comptant.
Les auteurs y parlent du monde comme il va et font le pont avec les origines du théâtre: des Sdf aux héros errants de la mythologie grecque il n’y a qu’un pas.
La langue reste un creuset inépuisable.
L’immense et légitime succès que rencontre dans le monde entier le théâtre de Bernard-Marie Koltès montre, s’il le fallait, que les meilleurs auteurs dramatiques français contemporains (tous, bien que vivants, ne le sont pas) ont trouvé leur voie et leur voix.
Et le public ne s’y est pas trompé.
La question du rapport de la vie de l’individu à l’histoire des hommes reste au centre de cette écriture théâtrale comme elle l’a toujours été.
Mais, pour sa meilleure part, elle se cherche - et se trouve - au-delà de l’épique ou du réalisme, dans un éclatement des formes, des langues et des récits, constituant la pièce maîtresse du futur puzzle de la représentation théâtrale.


http://www.adpf.asso.fr/index.html


« Mes pièces sont sans moralité »
un entretien avec Howard Barker
Gilles Costaz

À Rouen, Howard Barker est venu mettre en scène sa pièce « Animaux en paradis ».
Ce grand auteur et metteur en scène britannique, inventeur du « théâtre de la catastrophe », est encore peu connu en France.
C’est pourtant un maître de la tragédie moderne.
Sans doute aussi important qu’un Harold Pinter ou un Tom Stoppard, Howard Barker reste peu connu en France. Pourtant, bien des metteurs en scène, tels qu’Hélène Vincent, qui a monté Tableau d’une exécution, ou Jean-Paul Wenzel, qui va monter Judith la saison prochaine, oeuvrent pour une plus grande reconnaissance de ce dramaturge hanté par la violence du monde et qui la restitue dans des tragédies très neuves prenant à contre-pied une certaine modernité.
À Rouen, Alain Bézu, directeur du théâtre des Deux-Rives, et Guillaume Dujardin ont pu mettre sur pied une coproduction franco-britannique de la pièce Animaux en paradis, que l’auteur est venu mettre lui-même en scène. Le délire de la fable subvertit l’histoire : autour de la haine entre la Suède et le Danemark, Barker imagine qu’une Danoise traverse la mer à la nage et séduit le prince de Suède. Aucun rapport avec Hamlet.
Une tour suédoise sera transformée en pont dano-suédois, jusqu’à ce que l’histoire d’amour change encore les données...
Une réussite : la mise en scène, qui utilise le plateau comme une addition de scènes latérales, est un savant et beau déchaînement de pulsions et de poésie. Nous avons rencontré ce grand personnage en compagnie de son assistante, Sarah Le Brocq. rdefined>
Vous avez défini votre oeuvre dramatique comme « un théâtre de la catastrophe ». Est-ce une façon de renouveler la formule d’Artaud, « le théâtre de la cruauté » ?
Howard Barker : C’est une formule qui date de ma pièce les Européens. Je veux dire qu’il y a aujourd’hui une possibilité de tragédie moderne, qui rompt avec la tragédie shakespearienne. Mes pièces sont sans moralité, elles divisent le public, où chaque individu est à même de former son idée. C’est un théâtre violent, oui, un peu cruel, intentionnellement excessif, dont la poésie mélange l’argot de Londres et le langage littéraire.
J’essaie de rendre compte du monde total où je vis, en étant tout le temps dans les extrêmes. On peut dire cela aussi de Racine !
En écrivant, je fais sans cesse des excursions dans l’enfer où nous vivons. Mais c’est aussi la quête de la beauté dans la langue, la sexualité, la passion. Comme metteur en scène, je veux créer des images fortes. Ce rapprochement d’un monde sauvage avec des visions esthétiques, c’est l’expérience de la tragédie.
La tragédie, c’est, pour moi, ce qu’il y a de plus important dans le théâtre et dans les arts.
De quel milieu social venez-vous ?
Un milieu où il y avait des serveurs, des agents de police, des conducteurs de tram ! La banlieue sud de Londres. Comment je suis devenu un écrivain ? C’est un mystère ! La politique de l’après-guerre, en Angleterre, permettait à certains jeunes des milieux défavorisés d’accéder à l’université. J’ai étudié l’histoire à l’université du Sussex, en travaillant surtout sur l’histoire de la France au XIXe siècle. J’ai alors écrit quelques romans un peu grotesques. On me disait à chaque fois que les dialogues en étaient les éléments les plus intéressants.
À partir de 1969, j’ai pu écrire du théâtre pour la BBC, et j’ai rencontré là William Gaskill, un personnage influent proche du style surréaliste, qui m’a beaucoup aidé. [...]

Cinq volumes d’oeuvres choisies d’Howard Barker ont paru aux éditions Théâtrales (traductions de Jean-Michel Déprats, Marie-Lorna Vaconsin, etc.).



Mais aussi...

Le site pédagogique des enseignants de théâtre

http://www.dramaction.qc.ca/index.php

et encore...

Nous sommes (Le Théâtre du Soleil) au programme du bac, voilà pourquoi nous avons créé ce site…

http://www.lebacausoleil.com/SPIP/sommaire.php3

Le cahier des larmes

L’acteur est un écrivain en mouvement, un auteur en train de construire non la fable mais les ressorts de la fable.

Il ne raconte pas la relation mais la chimie des relations.

L’acteur n’est pas physique mais chimique dirait le spectateur attentif.

Oui, il y a de cela dans l’acte de lire un texte de théâtre : rien n’est donné , tout est en train de se construire.

Mais un acteur qui lit, qui est-ce ?

Un acrobate du provisoire?

Il s’agit à chaque fois d’expériences fatigantes, épuisantes même pour certains, charmeuses et enivrantes aussi, mais jamais de production théorique. Il est question, dans la lecture d’une expérience intime, pointue, terrassante parfois.

La lecture, c’est la poésie à l’état brut qui se donne à voir à creux qui ne savent pas encore déchiffrer le braille. La lecture c’est l’expérience de la vie individuelle passée par l'instrument du son.

Lire, c’est, quoiqu’il advienne du texte qui est mis en lecture, un acte d’une profonde liberté. Quel que soit le texte.

Un texte infâme, ignoble, aberrant, insane, insultant, s’il est mis en lecture devient en un seul instant un objet de contact, un instrument de dialogue ou, autrement dit, si nous étions logés définitivement au pays des assassins, ce serait un outil qui montrerait à quel point l’homme est facile à ouvrir.

Le texte est un ouvre-boîtes !

Lire, c'est l’approche, au fond de soi, d’un souvenir étrange et lointain, celui de l’expérience commune des hommes qui soudain nous appartient...en propre, le temps de la lecture.

De la même façon, l’acteur nous donne à entendre les échos d’un texte plus que la réalité du texte.

Il lit comme nous nous souvenons de notre propre expérience.

C’est-à-dire qu’il s’approche du texte comme nous nous rapprochons de notre mémoire, à pas de loups, les yeux embués de croyances, prêts à ne rien voir...

Daniel Simon, janvier 1999, Aveiro, Portugal