mardi, juillet 01, 2008

Troisième jour

Le pain d'amis

Dans un grand saladier, déposer deux bonnes poignées de fragments d’éclats de rire. Ajouter une grande mesure de confiance, deux pincées de complicité, trois cuillers de sincérité.
Mélanger délicatement.
Verser dans le moule à pain et laisser lever à l’abri des courants d’air.
Décorer la surface de copeaux d’écoutes et de regards et mettre au four à la chaleur du cœur. Lorsqu’il est doré, sortir le pain d’amis. La meilleure façon de le consommer est chaud, accompagné d’un clin d’œil.

Traces

Elles étaient ouvertes et, dans la lumière agitée du feu de bois, on pouvait y voir les traces laissées par le soc de sa vie. J’étais ému et me sentais envahi par un parfum de terre chaude d’après l’orage. Elles peuvent tellement raconter les mains de mon vieux.

Juin

J’aime marcher les pieds nus dans l’herbe, m’y allonger à plat ventre, dans l’ombre indécise du catalpa, pour regarder se balancer les pâquerettes que j’ébouriffe du bout des doigts. Il fait très calme ; je pourrais m’assoupir.
L’aboiement d’un chien dans le lointain, quelques piaillements d’oiseaux et l’écho de chants d’enfants maintiennent un niveau de normalité qui évite l’angoisse d’un silence assourdissant.
Le vent tiède et léger s’étale sur moi comme un drap délicat. Je m’endors.

Juillet

Juillet s’ouvre enfin. Matin bleu azur.
Dans l’allée bordée de grands arbres, le soleil
joue d’effets stroboscopiques sur les vitres de la
voiture que je m’empresse de laisser à l’ombre.

Dans mes espadrilles, je marche en quête de sérénité.
L’hiver a été long. Plusieurs années en fait.
La chaleur est douce et délicieuse,
j’aimerais bien ressentir la même dans mon cœur.

Des pigeons jouent à entrecroiser leurs vols et leurs ombres
qui impriment les pavés de pochoirs provisoires.
Une petite frange d’eau naît au bord de mes paupières ;
c’est le soleil qui m’éblouit, assurément.

Les petits cailloux du sentier crissent sous mes pas
et deviennent poussière rouge sur mes pieds.
Le calme est bien grand tout autour de moi. Dehors.
Je voudrais tant l’accueillir dedans.

La boucle du sentier est maintenant bouclée.
Les ombres sont tout étirées ; je m’en vais les mains vides.
Juillet sera toujours juillet demain.
Je reprends la voiture. Le volant est brûlant.
ArTags

Traces tenaces qui jouent les trouble-murs,
les tags en masse encrassent.
Sont-ils tant d’injures ?

On les chasse, les efface de nos architectures ;
Ouste ! Volez, crasses coriaces,
graffitis impurs.

L’un a la classe née d’une main mâture ;
on l’étouffera avant qu’il lasse.
Art No Futur.


Patricia Boncher

Circulations et positions du poème

Dans le parc, alentour, des signes que les textes évoquent...























Deuxième jour


"Qu'est-ce qu'un poème?"
lpxgapn
Des tentatives de réponses:
"Un poème, c'est une forme qui tente de faire accéder le lecteur à un autre sens que celui que le poème semble offrir..."
"Un poème, c'est un texte qui ne referme pas sur l'histoire où le sens qu'il évoque".
"Un poème, c'est quand un mot ajouté à un autre produit dans un concentré d'instant une voie entrapercue mais non encore reconnue par le lecteur..."
Des évidences: le poème fait entendre, quand il tient, une musique au-delà de l'orchestre...le poème, c'est du son et de la forme qui produisent du sens, le poème aime le peu et se méfie du chipoté, le poème nous relie au mystère et tente de le faire entendre et non d'y répondre...
Un témoignage: "Chacun ici écrit au plus près de ce qu'il sent et non de ce qu'il croit être beau...Etrange comme la beauté, l'effet de beauté, a besoin de façon absolue du sentiment de vérité..."
Mardi 1er juillet 2008

Un abat-jour vient de s'éteindre
Un abat-joie vient de m'étreindre
J'effeuille les pétales de mon âme
Son coeur vacille comme une flamme

Ton souffle ne pourra plus m'étouffer
Je serai auteure, comédienne ou fée
Je m'élèverai au-delà des aléas
Et tourbillonnerai là où la vie va

Je pousserai au soleil, à la pluie
Je serai de tous ces éclats qui brillent
Je chanterai, couvrirai les tonnerres
Et m'envolerai avant qu'on m'enterre.


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Sa tête dodeline, son bec picore
Je m'achemine, il se dandine
Il trépigne, je m'endors

Un bruissement interrompt le film
Mon écran s'éteint, mes yeux s'allument
Dans le ciel zigzague une plume.


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Fraîcheur de la pierre
Rigueur du bruit
Un train passe dans l'air
Et l'avion atterrit

Immobilité des lieux
Légèreté de mes pas
Ma vie s'écroulera
Les murs seront plus vieux.

Florence Renson

Premier jour
















Une table de douze...

Valerie Allard, Ghania Ayadi, Cosima Bloch, Patricia Boncher, Marcel Dagniau, Marc Desimeon, Lisa di Sante, Christiane Drumel, Jacqueline Perlot, Aurélien Polaert, Florence Renson, Marine Selvais... se sont mis à approcher le poème sous sa forme libre et même narrative, de la façon la plus simple qui soit: en regardant longuement ce qu'ils ont décidé de voir et de traduire...

Ecrire, c'est aussi cela: apercevoir un"au-delà" du poème qui permet au poème de laisser entendre cette voix secrète,ce chant du monde...

Des réferences dans la journée: Jean-Pierre Verheggen, Paul Klee, Valère Novarina,Jim Harrison, Jacques Izoard, Milan Kundera, Werner Lambersy, La Genèse,...

Premiers textes écrits dans l'atelier qui vont suivre bientôt sur cette page...




















Extrait de "Ne trouves-tu pas que le temps change?"


"... Celui qui vient de parler se penche dans le courant et laisse sa main aller au fil de l’eau. C’est frais et pétillant comme l’enfance et il se dit qu’il aimerait bien s’y plonger tout de suite, comme ça, rien que pour vérifier si le rire vient aussi vite qu’avant, quand le cul est de plomb et que les jambes battent l’air comme des bras malhabiles qui appelleraient à l’aide. Mais il se tait.

Son ami parle trop mais c’est son ami. Alors, il ne dit rien, il se dit qu’il fabrique assez de paroles pour deux. Que ça a toujours été comme ça, et qu’il n’y a pas de raison que ça finisse ici. Il se dit aussi que cet après-midi dans la rivière ne lui rappelle rien d’autre que des après-midis dans la rivière mais que ça suffit, que toute une vie peut se résumer à un après-midi dans la rivière, si on veut. Et il le voulait. Il se dit aussi qu’il n’a jamais beaucoup réfléchi à toutes ces choses qui lui viennent maintenant qu’il marche dans la rivière et que son ami parle pour deux. Il se dit qu’il devrait réfléchir plus souvent à ces choses, ou venir plus souvent à la rivière et déjà, il ne sait plus exactement ce qu’il veut. Ce qu’il aime, ce sont ces sensations qui lui passent entre les chevilles, les mollets, les doigts de pied, toutes ces sensations qu’il ne parviendrait pas à expliquer si on le lui demandait.


Mais il sait que de penser à ça lui suffit et il relève la tête.
Son ami sourit en le regardant et lui fait un petit signe de la main. Il agite les doigts comme si il lui lançait un au revoir enfantin. Et ses pieds à l’instant se saisissent, s’immobilisent comme s’il était surpris au plus profond de son intimité, là, au milieu de la rivière ; devant son ami qui lui fait un signe en souriant et lui, d’un coup, se crispe, arrête ses idées, suspend son étonnement et lui répond d’une main amicale. La rivière ne coule plus aussi légèrement, elle le frôle à peine et d’un coup, elle a disparu, il n’y a plus que cette gène en lui, comme un sentiment surexposé et que le livrerait comme jamais il ne se l’est permis. Ce geste de son ami imitant ses doigts de pieds frétillant dans la vase le met mal à l’aise.

Il perçoit plus intensément encore le fourmillement qui se loge sous sa voûte plantaire, qui grouille et déborde autour des chevilles, qui remonte le long des poils des jambes et qui se perd dans ce frisson qui le rend triste alors que toutes ces idées qui le tenaient penché sur le cours de la rivière viennent de s’évanouir.
Ils se regardent un moment en silence pendant que des flottes cendrées leur passent loin au-dessus de la tête. Mais ils ne disent rien. Ca a été une de leurs plus importantes décisions : vieillir dans un consentement sans failles, jusqu’au désastre probable qui les envahira un matin, quand le ciel est si clair que les arbres s’effacent lentement jusqu’à la cime…

Alors, quand des sensations bizarres les saisissent à la gorge, ils se taisent, ils sont polis, ils savent que cela ne sert à rien de parler de ce temps qui les environne comme la rivière. Où qu’ils aillent elle ne cesse de couler et quand ils sont loin dans l’arrière-pays, elle est toujours là.(...)"


DS