samedi, août 12, 2006

à propos de récits de vie...



Le récit de vie se distingue d'une biographie en ce qu'il cherche moins à répertorier les faits, mais qu'il vise à identifier des facteurs décisifs pour les orientations d'une existence.

Cela mérite quelques applaudissements

La soirée de clôture de la Semaine du récit de vie à la Maison du Livre nous a permis d’entendre des auteurs (certains disent des écrivants mais je préfère le terme d’auteurs qui renvoie au texte et non à une relation d’animateur-animé) lire leurs récits, certains avec fermeté et conviction, d’autres dans le murmure d’une difficile énonciation, chacun convaincu que quelque chose d’intense, de fragile et de rare avait lieu : la salle écoutait, concentrée, accueillante, amusée parfois, les textes de celles et ceux qui prenaient le risque de raconter leur histoire, des fragments du récit de leur vie…Quelques heures plus tard, et je zappais une émission de la nuit animée par un célèbre producteur. L’invité était présent sur le plateau. Le visage et le corps marqués des traces de machettes reçues en 1994. Il regardait de son regard borgne les salamalecs de la société du spectacle. Il avait écrit un livre, un récit de vie, ou plutôt d’une incroyable survie et il venait le vendre…

L’entretien se termine et l’animateur conclut en un cinglant sourire « Cela mérite bien des applaudissements ». La salle fait son travail, elle applaudit comme elle applaudissait la vedette médiatique qui entrait à son tour dans l’arène. Mais lui, le génocidé, qu’allait-il donc faire dans cette galère ?

Les récits de vie, puisque dans les deux cas évoqués ici, il s’agit de ce genre de récits, bénéficient, semble-t-il aujourd’hui, d’une attention toute particulière. Pourtant, il ne s’agit en rien d’un feu de paille qui aurait à voir avec un prurit d’égos particulièrement en retard d’expression. Les blogs se multiplient, métastasent littéralement, et servent aussi à l’expression d’une parole singulière, ou tout au moins, qui donne l’impression d’être singulière…Même si elle est noyée dans le grand flou phagocyte de la Toile Internet, même si l’existence des blogs ne concurrence en rien, relaye plutôt, cette vague d’expressions diverses liée aux écrits de l’intime.

Les éditeurs, les médias, les centres culturels, les gens tout simplement cherchent dans la relation de ces mémoires individuelles une façon de résister au grand « on » indifférencié qui a fait florès dans les années 80, qui renvoyait chacun à personne et ne répondait à personne en articulant glo-ba-li-sa-tion à tous vents…Le temps du « nous », celui des années 60-70 avait été effacé, l’air de rien, dans une sorte de consentement général, au nom des industries culturelles, des nécessaires révolutions technologiques et des nouveaux rapports politiques issus de la Chute du Mur de Berlin.

Facile à dire, mais ça ne marchait pas. Consentement ne rimait pas aussi facilement avec contentement et les gens, ceux qui avaient remis l’Histoire au goût du jour avaient des choses à dire. Là-bas, dans le Sud, comme ici…Et c’est là que nous constatons que les récits de vie, ceux dont j’évoque l’existence, la publication même, n’ont de raison d’être à mes yeux que parce qu’ils ont été travaillés, c’est-à-dire, passer par l’écriture, revisiter par la lecture, confirmé par la relation de lecteur à auteur. Ces récits de vie font lien, ils existent pour communiquer quelque chose.

Quoi ? Un temps, une époque, des impressions, des choses vues, du matériau d’expérience qui devient témoignage, de l’indéfini qui se cherche une forme, du flottement qui se fixe dans la durée, des nodules de mémoire qui se constituent en archipels, des trous qui font du sens, des absences qui renforcent la reconnaissance de notre incertaine présence au monde…

Il se fait que le sujet narrateur raconte toujours une histoire parmi tant d’autres possibles, il choisit parfois, la plupart du temps, il est agi par l’écriture qui débusque ce qu’il ne cherchait pas, qui met en lumière ce qui était hors cadre, qui rappelle les spectres et les fantômes errants dans les mémoires familiales ou claniques.

Cette écriture qui fait travail dans le processus d’émergence du récit de vie n’a rien à voir avec ce qu’imaginent ceux qui, pour de multiple raisons (raisonnables ou inavouées) haïssent ce mouvement autour de l’écriture et l’édition de récits de vie. Je parle de haine pour de multiples raisons simples à expliquer : le dévoilement d’un intime qui n’aurait rien à faire avec la chose civile (j’évite à dessein le mot dont on abuse à touts crins, citoyen…), l’émergence de paroles en concurrence avec ses détenteurs officiels (psys, écrivains, journalistes), la mise en relation d’événements forts dans la vie des individus qui produirait une autre vision de l’Histoire, la mise en lumière de l’entreprise publique de décervelisation douce (quoique…) d’une société de plus en plus précaire et livrée, comme un oiseau pour le chat, à des obligations de consommation culturelles (Internet, téléphones portables, abonnements divers au câble, ADFSN,…) tellement cyniques qu’elles n’en apparaissent que plus évidentes, la conscience de plus en plus forte des habitants de cette planète que la technologie numérique engrange des informations de plus en plus instables et périssables et que la mémoire des gens doit, pour se préserver, passer par d’autres canaux que ceux, obligés du tout à l’égout de l’oubli numérique.

L’écriture creuse, fonctionne en rhizomes, s’établit dans des formes configurées lentement, passées par des chambres d’échos tels que les Ateliers d’écriture, les lectures publiques, les éditions légères ou, ce qui est nouveau, par des maisons d’éditions intéressées par ces formes de récits, cette écriture de la durée que sont les histoires de vie.

Pierre Bertrand (Directeur des éditions Couleur Livres) et moi, avons préparé pendant un an et demi cette double action en faveur des récits de vie aujourd’hui et de ce qu’il nous semblait être une nécessité : publier certains de ces textes que nous jugeons remarquables à divers titres : la qualité de l’écriture, les liens qu’ils tentent de renouer dans le champ social, la liberté de ton, en-dehors du champ littéraire officiel, la puissance de révélation de ce qui apparaît souvent comme mineur ( le deuil, les familles décomposées, la vie inactive dans une société hystérique,…) en regard du majeur (le champ politique, le terrorisme, les inégalités de base,…)…

Toutes ces paroles nous intéressent à divers titres mais d’abord, bien sur, travaillant lui et moi dans les domaines de l’édition et de l’écriture, c’est la qualité d’expression, les miracles d’écriture qui requièrent notre plus haut intérêt. Il fallait, à notre sens, une Revue et une collection pour accueillir ces manuscrits, ces expériences, ces aventures d’écriture. Il fallait une Revue pour faire entendre, dans la durée, ces paroles et ces textes. Un titre s’est vite imposé : Je.

Mais Je, ce n’est pas Moi. Je, c’est une position, une attitude et un comportement avant la mise en mouvement. Je, c’est une décision, un choix, une résistance contre ce On flottant et irresponsable du management du vide…Je, c’est donc devenu aussi une collection où un premier titre vient de paraître, L’usine de Vincent de Raeve (préface de François Bon), deux autres déjà en préparation. Je, c’est un premier numéro fondateur paru à l’occasion de la récente Foire du Livre et trois autres à paraître d’ici février 2008 (La Première fois, Ecrire le deuil, Quoi, le Bonheur ?). Je, enfin, c’est une suite de rencontres, d’Ateliers d’écriture, de conférences, de séminaires, un Site en construction, des Journées thématiques autour des questions multiples posées par l’écriture et la publication de récits de vie.

Ce qui est étonnant, et le mot est faible, c’est d’entendre, chez des professionnels de l’écriture, les idées toutes faites,n les clichés trahissant une sorte de mépris condescendant à l’égard de ces textes et de ce qu’ils révèlent. « Ils se répandent », « Ils se plaignent », « Ils se grattent le nombril »…Voilà la matière première de la critique. On en a vite fait le tour. Qu’est-ce que cela traduit (ou trahit), je ne sais.

Mais les hypothèses sont simples : il y a dans le récit de vie l’aveu d’une tentative d’authenticité qui passe, entre autres, par le rendu du réel. Et ce réel, étrangement, semble généralement faire défaut dans le champ littéraire franco-belge. Comme dans le cinéma, comme à la télévision, malgré l’obscène concours des téléréalités. Ce réel, c’est la matière première des gens. Et ce réel est aussi tissé d’un imaginaire fort. Mais cet imaginaire, semble-t-il, est plus littérairement incorrect que ce que beaucoup en disent. La Revue et la collection Je sont autant de balises que nous allons tenter de placer dans le paysage. Notre travail s’arrête là.

Laisser des traces, des traces passées par l’écriture et la volonté de dire plus qu’il n’est généralement entendu. Ces textes, qui s’écrivent ci et là, vont rejoindre les greniers, les rêves évanouis, les secrets de familles ou, dans le meilleur des cas, enrichir les éditeurs à compte d’auteurs qui ont flairé le marché…

Ce que nous souhaitons, c’est de mettre en valeur des textes qui nous semblent remarquables ou emblématiques et de les offrir à un public curieux de tout et aussi, de lui.

Daniel Simon


www.couleurlivres.be
www.traverse.be
www.recitsdevie.org
La Revue et la Collection Je sont disponibles en libraires.
Conditions d’abonnement à la Revue : 4 numéros,…


Paru dans le Carnet et les Instants (été 2006)



et encore ... paru dans

La Libre.beAgoraOpinionsArticle

SENS

Narcissique que d'écrire son récit de vie?

Annemarie TREKKER


Mis en ligne le 27/06/2006

Le genre autobiographique a mauvaise presse mais l'écrivant (pas le littéraire!), considère que l'histoire de sa vie mérite de s'y attarder. Du narcissisme à l'autoréflexion humaniste.




Sociologue. Collaboratrice scientifique à l'UCL. Animatrice de tables d'écriture en histoire de vie. Auteur de «Les mots pour s'écrire»(1)



Ecrire son récit de vie est une aventure qui séduit de plus en plus d'«écrivants». Ils ne se prétendent pas pour autant écrivains, mais estiment que l'usage du stylo (ou plus généralement du clavier) ne relève pas de la propriété exclusive des «littéraires», tout comme l'histoire ne relève pas exclusivement des «historiens». Ces écrivants de leur histoire de vie affirment simplement que celle-ci mérite de s'y attarder (et que l'écriture est un bon moyen pour le faire), d'en rechercher le(s) sens à la lumière du lien aux autres, voire de la transmettre...


L'évolution des sciences humaines a participé à ce courant de redécouverte de la place de l'individu en tant que sujet et acteur de son histoire (et aussi de l'Histoire). Car si personne n'échappe aux déterminismes sociaux, aux événements historiques et aux influences plus insidieuses des mythes familiaux, il n'en subsiste pas moins une part de liberté irréductible en chaque être humain. Ecrire son histoire de vie, c'est partir à la recherche de cette part-là et donc assumer sa responsabilité de sujet et d'acteur. La démarche consiste à regarder d'où l'on vient pour chercher à savoir qui l'on est et où l'on va. Ce qui implique de s'interroger sur le(s) sens possible(s) des événements du passé, des liens, et des appartenances choisies, imposées ou rejetées... Interroger ainsi les trois temps d'une vie: passé, présent et avenir... invite à s'insérer dans le mouvement d'une histoire installée dans la durée, en refusant le diktat de l'instant et des fausses urgences.

Un questionnement singulier et universel

Faut-il voir dans cette démarche un penchant au narcissisme ou au contraire un humanisme? Le genre autobiographique a acquis mauvaise presse, à travers la publication des révélations intimes de stars de la chanson, du sport ou du cinéma... Le risque y paraît évident d'un développement de l'égotisme et du show de soi! A l'inverse, certains ouvrages faisant le panégyrique de la généalogie familiale semblent n'avoir d'intérêt que pour leurs auteurs, n'ouvrant sur aucune perspective élargie de compréhension ou de réflexion. Entre ces deux extrêmes, il y a place toutefois pour une «écriture de soi» source d'un questionnement à la fois singulier et universel. De nouvelles approches philosophiques, sociologiques et psychologiques situent le travail narratif du «récit de vie» dans ce contexte. L'enjeu dépasse le seul désir de transmission, sans toutefois l'exclure, pour se centrer sur la réflexion. Laisser des traces dans la mémoire de ceux qui nous suivent, c'est aussi répondre à un questionnement fondamental de l'humain: celui de la vie et de la mort, celui du sens et des liens. L'humanité, ne l'oublions pas, est née à partir du moment où l'homme a enterré ses morts et entretenu leur mémoire.

Le récit de vie comme acte et rituel de passage

Evoquant le «récit de vie» au moment de la mort, Marie de Hennezel écrit: «Le récit est un acte, et pour celui dont l'autonomie est souvent si réduite, cet acte prend toute son importance. Il y a un besoin de donner forme à sa vie et d'adresser cette mise en forme, créatrice de sens, à quelqu'un d'autre». Le récit serait alors rituel de passage, qu'il soit oral ou écrit, qu'il survienne en fin de vie ou à un tournant de l'existence. L'écrit se prête bien à cette mise en forme et en acte, à ce rassemblement des pièces du puzzle, invitant au tri (il s'agit d'extraire les événements marquants du fouillis des «souvenirs»), à la mise en intrigue, mais aussi au surgissement de l'inattendu et à la distanciation.

Et le narcissisme dans tout cela? L'écrivant ne risque-t-il pas de céder à la tentation d'autojustification, voir à l'autoglorification? N'est pas philosophe, psychologue ou sociologue de sa vie tout écrivant de celle-ci! Ce qui lui confère cette qualité, c'est ce que Luc Ferry nomme dans «Apprendre à vivre» la pensée élargie qui «prolonge celle de «perfectibilité»... (dans laquelle) Rousseau voyait le propre de l'humain. Ce qui nous ramène à «l'idée de liberté entendue comme la faculté de s'arracher à sa condition particulière pour accéder à plus d'universalité, pour entrer dans une histoire individuelle ou collective -celle de l'éducation d'un côté, de la culture et de la politique de l'autre- au cours de laquelle s'effectue ce que l'on pourrait nommer l'humanisation de l'humain». Proche de cette perspective, tout un courant de sociologie clinique initié notamment par Vincent de Gaulejac(2) à Paris invite à développer des lieux d'échange et d'écoute complexe de l'individu, encourageant la dynamique de construction du sujet, face à son histoire, à sa généalogie, aux processus de transmission intergénérationnels, au poids des déterminations sociales. Cette écoute complexe fait coexister approche sociologique, psychologique, psychanalytique, philosophique et politique de l'histoire d'une vie. C'est précisément ce dépassement des clivages traditionnels des diverses disciplines qui donne au travail sur le «récit de vie» toute sa force et sa portée humaniste.

Faire vivre la démocratie au sein de chaque individu

Nous voici bien loin de ce que d'aucuns voudraient réduire à une simple démarche narcissique. Si le risque existe toujours d'enfermement en dedans des frontières de soi, dans un huis clos de l'écrivant avec la feuille blanche ou l'écran, il se trouve réduit par la multiplication des lieux de rencontre, d'échange et de formation autour du «récit de vie» (ateliers d'écriture, groupes d'implications ou de recherches, séminaires et lieux de rencontres et de confrontations à la fois théoriques, méthodologiques ou pratiques) qui permettent et encouragent un travail de questionnement à la fois dynamique, pluridisciplinaire et démocratique. Car c'est bien de cela qu'il s'agit en dernière instance: faire vivre la démocratie au sein même de l'individu en lui redonnant sa pleine dimension humaine. Celle de sujet d'une histoire qu'il se réapproprie par la narrativité, et à laquelle il donne sens dans un rapport aux autres et à l'Histoire. Dans cette perspective, loin de constituer un repli identitaire, le «récit de vie» apparaît comme un outil de lutte, à la fois subversif et créatif, contre les dérives totalitaires et manipulatrices de la mondialisation et contre les communautarismes sectaires.

(1) «Les mots pour s'écrire. Tissage de sens et de lien», L'Harmattan, 2006

(2) Vincent de Gaulejac, Institut de Sociologie Clinique, 6, rue Beauregard 75002 Paris, www.iisc.online.fr.

© La Libre Belgique 2006



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Le récit de vie.


D'après Luc Collès et Jean-Louis Dufays



Le récit de vie connaît un grand succès sous ses multiples formes : livres, films, entretiens médiatisés... C'est un genre extrêmement vaste. Une première lecture permet de répartir ces récits en six catégories.

La littérature biographique permet aussi de poser quelques questions particulières:

Pourquoi écrit-on et pourquoi lit-on un récit de vie ?

Comment fonctionne la mémoire ?

Quel est le rapport entre réel et souvenir ?

Quelles sont les (macro)structures courantes des récits de vie?

Qu'y trouve-t-on habituellement comme séquences?

Quels en sont les "lieux communs" ?

Une diversité de récits

Un premier classement organise les nombreuses formes de récits de vie selon deux grandes clés principales:

• selon qu'ils s'attachent à restituer le réel / créer de la fiction;
• selon le rapport qu'entretiennent entre eux, auteur, narrateur et héros.

Réel ou fiction


Certaine récits sont appelés factuels, ils prétendent exprimer la réalité : des personnes ayant existé ou des événements qui se sont produits.
Ils manifestent une volonté de vérité.

D'autres récits dits fictionnels, proposent des vies fictives

soit que les personnages n'aient jamais existé,

soit que ces événements ne se soient jamais produits.

Cet aspect fictionnel peut être partiel,

soit l'auteur compose la biographie d'un personnage réel et lui attribue des actions fictives,

soit que dans le cadre d'événements réels, il invente l'un ou l'autre personnage fictif.

Dans cette classe de récits de vie l'auteur se soucie surtout de vraisemblance, il crée l'apparence de la réalité.

Rapport entre auteur, narrateur et héros.


Ce critère permet de dégager trois grandes familles de récits de vie.

La transcription de témoignage oral est une forme de récit de vie où un auteur recueille les paroles de quelqu'un d'autre, en général moins familier des textes écrits. Il compose ensuite un texte en adaptant ces paroles au support de communication : livre, article, film, bande dessinée… (auteur ><>< auteur =" narrateur">

L'autobiographie se présente sous la forme de multiples sous-genres:

autobiographie traditionnelle : un auteur raconte sa propre vie.

autobiographie partielle : un épisode de la vie est raconté.

journal intime : ce genre de récit se reconnaît à certaines caractéristiques:

respect de l'ordre chronologique

récit très proche de l'événement, sans recul

les événements sont moins sélectionnés, la structure du récit est moins apparente, cela crée une impression de désordre assez proche des hasards de la vie réelle.

un journal n'est pas nécessairement écrit en vue d'une publication.

autobiographie simulée :

à partir de propos recueillis, un auteur (appelé nègre) se fait le narrateur-héros d'une vie qu'il n'a pas vécue.

mémoires : récit où les événements prennent plus de place que les éléments personnels.

chroniques : tableaux d'histoires survolant parfois plusieurs générations, plusieurs régions, récits de voyages…

roman autobiographique où l'auteur mêle à des événements réels quelques éléments de fiction.
...
Tout récit de vie peut ainsi être classé dans un tableau à double entrée:énonciation / rapport au réel factuel fictionnel
transcription x x
biographie x x
autobiographie x x


Enjeux

Pourquoi écrit-on un récit de vie ?

Quand il compose un récit de vie l'auteur peut poursuivre plusieurs buts :

L'immortalité

Laisser une trace d'une vie pour échapper à la mort, accéder à l'immortalité.

Le souvenir

Écrire sa vie pour se retrouver, se regarder par narcissisme.

La confession

Donner sa version des faits, avouer ses erreurs, montrer ses motivations pour
justifier sa conduite, blanchir ses fautes...

L'identité

Donner un sens à sa vie, se définir comme différent, unique.
L'information

Témoigner d'une époque, sur des comportements, des valeurs. Dialogue interculturel entre des époques, des régions, des catégories sociales.

Un modèle moral

Offrir une leçon de vie, présenter un personnage de récit de vie comme modèle à imiter.

La complicité

Par le récit de vie, l'auteur entretient avec le lecteur une relation particulière en ceci que l'évocation des souvenirs de l'auteur entraîne, chez le lecteur, l'évocation de ses propres souvenirs. La curiosité (plus ou moins avouable) du lecteur y trouve son content : les grands hommes aussi ont eu leurs faiblesses…

Le récit de vie comme texte argumenté ?

"Ce qui est certain en tout cas, c'est que le lecteur d'une autobiographie doit être attentif à la possibilité d'une thèse (de thèses) sous-tendant le récit.
[...] bien des biographes considèrent la vie qu'ils racontent non comme une fin en soi, mais comme une occasion d'argumenter en faveur d'une thèse." (Baar et Liemans).

Ces auteurs se demandent même s'il ne faut pas classer l'(auto)biographie comme un sous-genre de l'essai.

Pourquoi lit-on un récit de vie ?

Quand il lit un récit de vie, le lecteur aussi cherche à assouvir un ou plusieurs désirs :

Une information

Trouver des renseignements sur une époque, une culture, une région, une expérience.

Une identification

S'identifier à un modèle, à quelqu'un qui a "réussi".

Une édification

Devenir meilleur, autre, réussir mieux.

D'autres motivations encore:

• l'attrait pour le moi,
• le désir de lire en s'identifiant à quelqu'un,
• le besoin de lecture où l'on peut sauter des passages,
• le plaisir de lire en voyeur.

Le travail de la mémoire.

"C'est un gosse qui parle. Il a entre six et seize ans, ça dépend des fois. Pas moins de six, pas plus de seize. Des fois il parle au présent, et des fois au passé. Des fois il commence au présent et il finit au passé, et des fois l'inverse. C'est comme ça, la mémoire, ça va ça vient. Ça rend pas la chose plus compliquée à lire, pas du tout, mais j'ai pensé qu'il valait mieux vous dire avant. C'est rien que du vrai. Je veux dire, il n'y a rien d'inventé. Ce gosse, c'est moi quand j'étais gosse, avec mes exacts sentiments de ce temps-là. Enfin je crois. Disons que c'est le gosse de ce temps-là revécu par ce qu'il est aujourd'hui [...]"

François Cavanna, Les Ritals, cité par Collès et Dufays.

La mémoire reconstruit le passé, elle opère plusieurs transformations du réel vécu:

Comme on ne peut pas ne pas oublier, la mémoire opère une première sélection des événements.

L'agencement dans le récit (la manière dont le récit est composé, l'ordre dans lequel les événements sont rapportés) est un autre choix qui reflète moins le passé comme tel que la vision qu'en a gardé l'auteur-narrateur.

Le récit de vie est toujours une reconstruction du réel. Aussi la composition d'une biographie ne se fait qu'en modifiant la chronologie des événements selon quatre procédés:

suppression :

une grande période de temps ne prend que quelques lignes ou est escamotée;

dilatation :

une courte période prend beaucoup de lignes;

suppression / adjonction:

on supprime un événement vécu pour un autre inventé;

permutation :

on déplace dans le temps des événements de manière à les anticiper ou les retarder.

Comme les oublis risquent de rendre le récit chaotique, discontinu, le narrateur sera quelquefois amené à corriger sa mémoire afin d'en masquer les insuffisances.

Le passé lointain semble retouché par l'imagination qui contamine son souvenir (l'adulte se remémorant son enfance avec la nostalgie d'un paradis perdu).

La mémoire ne rapporte que des moments-clés. Un de ces moments privilégiés est l'enfance retracée depuis la naissance.
Or, quelle est l'authenticité des souvenirs avant 4 ans ?

Écrire son autobiographie c'est essayer de saisir sa personnalité dans sa totalité, c'est faire une synthèse de soi. En se racontant, le narrateur permet aux autres de le regarder, ceci explique le maquillage de certains événements ou leur arrangement… pas toujours conscient.

Le travail de la mémoire apparaît ainsi comme composé autant d'affabulation que de mémorisation.

Pour faire resurgir les événements, les lieux jouent un rôle important. La vue et les autres sens (ouïe, odorat, goût) obligent la mémoire à refaire un trajet qui permet d'éclairer une personnalité adulte car on attend le plus souvent d'avoir terminé quelque chose avant de le raconter...

Le récit de vie est ainsi téléologique (tout entier tourné vers la fin, le sens qu'on veut lui donner).

Dans l'autobiographie, un Je raconte un Moi avec une distance dans le temps et dans l'espace.

Le travail de la mémoire peut:

- soit nier cette distance.

On peut montrer ainsi la continuité du vécu selon que l'on se centre sur le présent, on montre que l'être d'aujourd'hui est le prolongement de l'être ancien; sur le passé, on montre que l'être d'alors annonçait le personnage d'aujourd'hui.

soit accentuer cette distance en prenant du recul par rapport à son passé

sur le plan intellectuel : difficulté à comprendre ce qu'on a été.

sur le plan affectif : regret ou refus de ce qu'on a été.

La sincérité autobiographique

Un pacte de sincérité est établi dès le début d'une autobiographie. C'est une déclaration d'intention. Le narrateur de l'autobiographie, puisqu'il s'engage, oblige le lecteur à le croire (il est d'ailleurs difficile de tout vérifier).


Les stéréotypes

Sous la diversité des formes, les chercheurs découvrent un contenu assez stéréotypé dans les thèmes, les structures narratives et les valeurs idéologiques.

Le stéréotype ou cliché est, au sens propre, une plaque d'imprimerie portant une gravure en relief permettant sa reproduction, son tirage à de nombreux exemplaires.
Au sens figuré, le cliché, stéréotype aussi nommé poncif ou lieu commun, est une idée, une expression très (trop) souvent utilisée.

C'est pourquoi on l'appelle également banalité.

Stéréotypes thématiques

Certains thèmes apparaissent régulièrement dans le récit de vie et ils correspondent à l'attente des lecteurs: naissance, portrait de famille, petite enfance, escapade, accident, maladie, entrée en apprentissage, premier amour…
Le souvenir est imaginé d'après des récits appartenant à la mémoire collective.

Stéréotypes narratifs

Les étapes conventionnelles du récit biographiques ont été modélisées par Yves Stalloni (cité par Collès et Dufays) notamment:

La naissance
(origines, famille et proches, lieux déterminants, formation)

L'entrée dans la vie
(adolescence, début de l'âge adulte, vie sentimentale, initiation professionnelle)

Grands événements
(voyages, rencontres, deuils, création, célébrité).


Les discours biographiques répondent au schéma suivant :

raconter sa vie c'est faire le récit d'une ascension vers la réussite.

Trois schémas se dessinent ainsi:

biographie par vocation : tout petit on est déjà comme on sera plus tard;
biographie par convocation : un événement opère une bifurcation décisive;
biographie par répétition : la vie est une accumulation lente et progressive des faits qui façonnent le devenir.

Stéréotypes mentaux

L'insertion de lieux communs, citations "nobles" ou de vérités générales garantissent que les attitudes et les événements décrits sont conformes à une idéologie établie.

L'utilisation de stéréotypes remplit diverses fonctions:
fonction vraisemblabilisante


Le déjà-vu, déjà-entendu rend le texte plus "naturel", il assure un sentiment de reconnaissance authentique de l'histoire, une illusion de référence au réel.
fonction évocative

Un cliché en entraîne d'autres, les réactive, il fait référence à toute une mythologie populaire. Le lecteur s'y retrouve dans un univers familier.

fonction sociale

Les stéréotypes rassemblent ceux qui y adhèrent, créent un lien social.
fonction esthétique

Les stéréotypes font l'objet de variantes multiples, le plaisir de la surprise s'allie ainsi à celui de la reconnaissance.

fonction argumentative

La pérennité des clichés semble prouver leur pertinence.

Ces clichés produisent des effets recherchés ou non. Ils réussissent à séduire le plus grand nombre en même temps.

Cependant si ces clichés appartiennent à une culture périmée, ils produisent l'effet inverse : moquerie, irritation, ennui.

http://users.skynet.be/fralica/refer/theorie/theocom/lecture/recitvie.htm